samedi 20 octobre 2012

LBDSN et MDS (III)



       III.      APPORTS RÉCENTS DU DROIT EUROPÉEN

La Directive 2009/81 sur les marchés publics de défense et de sécurité (MPDS) définit le cadre d’un régime de passation de marché spécifique au domaine de l’armement qui tente d’apporter une réponse aux exigences de transparence, de sécurité et de souplesse tout en offrant des opportunités en matière de recherche et développement et de sous-traitance, même si des exemptions demeurent possibles.

A.    Un cadre « vertueux »

La Commission souhaite promouvoir un référentiel commun de normes en collaboration avec l’Agence Européenne de Défense (AED) dans le but de faciliter l’ouverture des marchés. Il s’agit d’établir un climat de confiance mutuelle entre les États membres au moyen de mesures garantissant la transparence mais aussi la sécurité des informations sensibles. La sécurité des approvisionnements, consubstantielle de toute notion de défense, sera également prise en compte et vérifiable, elle constituera un critère de sélection. Les critères de sélection des candidats contribueront également à la sécurité en permettant d’écarter les entreprises douteuses. Enfin, le système de passation des marchés apparaît équilibré en ce qu’il offrira une plus grande souplesse pour les entités et pouvoirs adjudicateurs tout en autorisant des possibilités d’indemnisation et de recours pour les soumissionnaires éliminés sans pour autant mettre en péril les intérêts des parties.

1)    Transparence et confidentialité

Dans la communication relative à sa « stratégie pour une industrie européenne de la défense plus forte et plus compétitive », la Commission rappelle sa volonté d'instaurer « un climat de confiance mutuelle renforcée entre les États membres » : la sécurité de l'information et la sécurité d'approvisionnement y sont citées parmi les principales mesures qui visent à améliorer l'ouverture et la compétitivité des marchés de défense dans l'Union[1].
La protection des renseignements dont un État membre « estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité » est très souvent invoquée par les États membres qui utilisent selon la Commission le recours à l'article 296 du TCE (désormais Article 346 du TFUE) pour échapper à l'application des règles européennes relatives aux marchés publics. C'est pourquoi la directive 2009/81 propose dans son article 22 un certain nombre de mesures et d'exigence relative à la sécurité des informations classifiées. Le pouvoir adjudicateurs ou l'entité adjudicatrice peuvent ainsi exiger, dans les documents du marché, un engagement du soumissionnaire et des sous-traitants sur l'application de telles mesures ainsi que la possibilité, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de déterminer si les sous-traitants possèdent les capacités requises pour leur application. La Section 2 de la directive prévoit ainsi des critères de sélection qui reposent sur les capacités et aptitudes des candidats ou des soumissionnaires mais aussi sur leur « situation personnelle ». Il est ainsi possible d'écarter des candidats ayant fait l'objet de condamnations en raison de délits affectant leur moralité professionnelle, d'activités criminelles, de corruption, de fraude ou encore ayant participé ou soutenu des activités terroristes. Sera également écarté tout candidat qui a commis une faute grave dans ses obligations en matière de sécurité de l'information. L'article 42 relatif aux capacités techniques et/ou professionnelles des candidats préconise pour sa part la production de preuves justifiant la capacité du candidat ou soumissionnaire à traiter, stocker et transmettre des informations classifiées au niveau de protection approprié.
La directive décrit également dans son article 36 les règles applicables aux communications dans le cadre de la publication des avis de marché qui stipule que « les communications, les échanges et le stockage d'informations sont faits de manière à assurer que l'intégrité des données et la confidentialité les demandes de participation et des offres soient préservées ». Au plan technique, des outils comme la signature électronique ou le contrôle d'accès sont autorisés et les garanties minimales attendues sont décrites dans l'annexe VIII de la directive.
Les mesures de sécurité de l’information préconisée par la directive ne poseront probablement pas de problème de mise en œuvre côté français ou l'application du code des marchés publics, la publication et la gestion des appels d'offres électroniques sont largement utilisés depuis plusieurs années. Toutefois, le déploiement à l'échelle européenne de ce « dispositif de confiance » ne semble pas de nature à influencer, sinon à la marge, l'appréciation des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices nationales sur l'opportunité de déroger à la protection offerte à nos intérêts essentiels de sécurité par le recours à l'article 346 du TFUE (ex-article 296 TCE).
En ce qui concerne la capacité des candidats ou soumissionnaires à assurer la protection des informations sensibles ou classifiées, il conviendra d'appliquer à la lettre les préconisations de la directive afin d'obtenir des garanties de nature à faciliter les échanges d'informations technologiques entre titulaires d'un même marché. En effet, on observe parfois des réticences sur ce point entre des entreprises de même nationalité quand il s'agit par exemple de transmettre au partenaire des spécifications nécessaires à l'interopérabilité avec un système tiers. À défaut, les litiges pourraient se multiplier et générer des retards pour les programmes complexes. On notera au passage que l'industrie française de l'armement est à même de proposer un certain nombre de solutions techniques en matière de sécurité de l’information, marché en pleine croissance soumis à une concurrence acharnée sous leadership américain.

2)    Sécurité des approvisionnements

Si la sécurité d'approvisionnement contribue selon la Commission à améliorer l'ouverture et la compétitivité des marchés, elle constitue pour les États souverains une exigence cruciale pour la disponibilité de leurs équipements de défense, comme rappelé dans les considérants 8 et 9 de la Directive 2009/81.
L’aptitude d’une entreprise à répondre à ce type d’exigence dépend de ses capacités industrielles mais aussi des possibilités de transfert entre États[2], qu’il s’agisse du produit final d’un intégrateur ou des composants et sous-systèmes produits par ses fournisseurs.
Les décisions des États en matière d’investissement peuvent également favoriser le développement de certaines capacités industrielles, c’est pourquoi ceux-ci doivent favoriser sur leur territoire certains secteurs jugés stratégiques et éviter de dépendre dans ces domaines de fournisseurs étrangers. 
Conformément aux termes de l’article 23 de la directive, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice peut assortir l’offre de certains éléments qui précisent ses exigences en matière de sécurité d’approvisionnement. D’après le considérant 40, ces exigences peuvent concerner les droits de propriété intellectuelle entre une société et ses filiales ou « la fourniture de capacités critiques d’entretien et de révision afin d’assurer la maintenance des équipements achetés tout au long de leur cycle de vie ». Toutefois, la directive n’est pas exhaustive et laisse toute liberté de définir des critères au cas par cas, comme pour la sélection des soumissionnaires qui peuvent se voir exiger des preuves de leurs capacités techniques et/ou professionnelles (article 42).
L’utilisation de critères de sélection stricts en matière de sécurité des approvisionnements ne dispense pas pour autant de respecter le principe de non-discrimination en offrant un traitement égal aux candidats et aux soumissionnaires - ainsi, la nationalité ne peut pas constituer à elle seule un critère de sélection, même si elle peut conduire à écarter des candidats en appliquant des règles strictes de proportionnalité dans un contexte de restriction de l’accès au marché. Quoiqu’il en soit, toute décision d’exclure tel type de fournisseur devra être dûment justifiée.
Les exigences en matière de sécurité des approvisionnements seront exprimées le plus souvent en termes de délais et de quantités.
Conformément aux articles 38 à 46 de la directive, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice doivent établir la capacité et l’aptitude des opérateurs à partir de critères de légalité ou de moralité, de critères relatifs à leurs capacités économiques et financières et à leurs connaissances ou capacités professionnelles et techniques. Le considérant 67 rappelle à ce propos que « la fiabilité des opérateurs économiques qui obtiennent des marchés est cruciale » et qu’elle « dépend notamment de leur capacité à répondre aux exigences imposées par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice en matière de sécurité d’approvisionnement et de sécurité de l’information ».
L’article 39 propose dans son premier alinéa des critères d’exclusion obligatoires comme par exemple la corruption, la fraude ou la participation à une organisation criminelle, mais il offre une marge d’appréciation dans son second alinéa pour les procédures de faillite, les infractions fiscales ou les fautes graves « constatées par tout moyen » comme la violation des obligations en matière de sécurité de l’information ou de sécurité des approvisionnements. La liste de critères fournie dans ces deux premiers alinéas est considérée comme exhaustive par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne[3]
En matière de capacités techniques et/ou professionnelles, les preuves susceptibles d’être fournies par les opérateurs sont définies dans l’article 42. Elles comprennent notamment la « description de l’équipement technique , des mesures employées par l’opérateur économique pour s’assurer de la qualité et des moyens d’étude et de recherche de son entreprise ainsi que des règles internes en matière de propriété intellectuelle » (1)(c) ou « une description de l’outillage, du matériel et de l’équipement technique, des effectifs du personnel et de son savoir-faire et/ou des sources d’approvisionnement  avec une indication de l’implantation géographique lorsqu’elle se trouve hors du territoire de l’Union » (1)(h). Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice peut donc utiliser comme critère de sélection l’exigence que les candidats démontrent leur capacité technique à honorer le contrat et même exclure un candidat ou un soumissionnaire s’il considère que sa localisation géographique hors de l’Union est de nature à compromettre ses capacités à répondre aux clauses contractuelles, notamment en matière de sécurité des approvisionnements. A noter que les sous-traitants peuvent être exclus pour les mêmes motifs.
Conformément à l’article 20, « les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices peuvent exiger des conditions particulières concernant l’exécution du marché pour autant qu’elles soient compatibles avec le droit communautaire et qu’elles soient indiquées dans les documents du marché ». Elles peuvent notamment avoir pour objet des exigences propres à la sécurité de l’approvisionnement.
L’article 23 aborde pour sa part le contenu des documents du marché et en particulier « la certification et les documents démontrant que l’organisation et la localisation de la chaine d’approvisionnement du soumissionnaire lui permettront de respecter les exigences du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice en matière de sécurité d’approvisionnement » (c). L’organisation de la chaine d’approvisionnement recouvre toutes les ressources et les activités nécessaires à la fourniture des rechanges, services ou travaux définis au contrat. Toute discrimination en matière de nationalité sera là aussi évitée en ce qui concerne la localisation de la chaine d’approvisionnement : seules les notions de distances et de délais de livraison sont recevables.
Les points (d) et (e) de l’article 23 proposent les modalités à établir en ce qui concerne les cas de crise[4], comme le maintien de capacités de production afin de couvrir les besoins additionnels. De tels arrangements peuvent établir des priorités avec un séquencement de l’exécution des mesures afférentes ou prévoir des engagements plus généraux comme celui de fournir les efforts nécessaires à la satisfaction des besoins les plus urgents. Le point (f) permet pour sa part de fixer non seulement des exigences concernant la maintenance, mais aussi en matière de modernisation ou d’adaptation des fournitures, ce qui se justifie de façon évidente pour des systèmes qui sont maintenus en service sur le long terme. On notera également la possibilité de demander au soumissionnaire d’informer le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice « de tout changement survenu dans son organisation, sa chaîne d’approvisionnement ou sa stratégie industrielle susceptible d’affecter ses obligations » (g) et plus encore, l’engagement à fournir tous les moyens spécifiques nécessaires notamment à la production des pièces détachées et composants en cas de cessation d’activité.
Une fois exclus les soumissionnaires qui ne répondent pas aux conditions de performance requises, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice va accorder le marché (procédure restreinte), passer en phase de négociation (procédure négociée) ou préciser les spécifications (dialogue compétitif). En ce qui concerne les critères d’attribution du marché, l’article 47 stipule qu’à défaut de s’appuyer exclusivement sur le critère du prix le plus bas, pratique la plus courante pour les pays dont le budget de défense est limité, l’attribution se fera à l’offre économiquement la plus avantageuse (best value for money)  en fonction de critères comme la qualité, le prix, les caractéristiques  mais aussi les délais de livraison ou la sécurité d’approvisionnement.
Enfin, rappelons que le considérant 16 cite la sécurité des approvisionnements parmi les critères susceptibles de justifier une exemption de l’application de la directive dans la mesure ou elle met en jeu la sécurité publique ou qu’elle est nécessaire pour la protection des intérêts essentiels d’un État  membre.

3)    Procédures de passation des marchés

La principale innovation de la directive en matière de passation de marchés est la possibilité de recourir librement à la procédure négociée avec publication d’un avis de marché (Article 25, alinéa 2). Cette procédure tient compte des particularités des marchés publics de défense et de sécurité en offrant aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices la souplesse nécessaire pour négocier les adaptations de l’offre exigées par les marchés complexes. Ils pourront également recourir à la procédure restreinte avec publication d’un avis de marché. L’article 26 précise que la procédure négociée avec publication d’un avis de marché a pour objectif de rechercher la meilleure offre tout en respectant le principe d’égalité de traitement  entre les soumissionnaires. Cette procédure s’applique en utilisant les critères d’attribution du marché de l’article 47 et elle peut être conduite en phases successives.
Quand les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices « estiment que le recours à la procédure restreinte ou à la procédure négociée avec publication d’un avis de marché ne permettra pas d’attribuer le marché », ils peuvent utiliser la procédure de dialogue compétitif (Article 27). Dans un dialogue compétitif, seul le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse est utilisé. Il y a publication d’un avis de marché puis discussion des termes du marché avec les candidats sélectionnés. Comme pour les autres procédures, le respect du principe de l’égalité de traitement est rappelé. L’évaluation des offres s’effectue également en fonction des critères d’attribution du marché proposés par l’article 47. A noter que les participants au dialogue compétitif peuvent être rémunérés, cette procédure étant susceptible d’être longue et de requérir des ressources spécialisées (juristes, ingénieurs, commerciaux).
La procédure négociée sans publication d’un avis de marché décrite dans l’article 28 impose pour sa part de justifier de contraintes particulières et s’utilise dans des conditions strictes listées dans l’article :
-         Marchés de travaux, de fournitures et de services qui n’ont fait l’objet d’aucune offre suite à une procédure restreinte ou avec publication ou qui ont fait l’objet d’offres irrégulières ou inacceptables ; urgence résultant d’une situation de crise ; urgence impérieuse résultant d’événements imprévisibles ; opérateur privilégié pour des raisons techniques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ;
-         Marchés de fournitures et de services qui concernent des services de recherche et développement ou des produits dédiés à la R&D ;
-         Marchés de fournitures qui consistent en des livraisons complémentaires de renouvellement ou d’extension (limités à 5 ans sauf circonstances exceptionnelles) ; bourse de matières premières ; conditions particulièrement avantageuses (cessations d’activités, faillites) ;
-         Marchés de travaux et de services complémentaires rendus nécessaires suite à une circonstance imprévue (cumul plafonné à 50% du marché initial) ; répétition de travaux ou services similaires par le même opérateur sous réserve que le marché initial ait fait l’objet d’une procédure restreinte ou avec publication ;
-         Marchés de fourniture de services de transport maritime et aérien dans le cadre d’un déploiement de forces à l’étranger.
Enfin, la procédure des accords-cadres prévue par l’article 29 permet d’établir pour une durée déterminée un certain nombre de dispositions spécifiques avec des opérateurs économiques parties à l’accord-cadre. Sa durée doit être inférieure à sept ans sauf circonstances exceptionnelles. Tout comme les autres procédures proposées par la directive, il doit respecter les règles de concurrence. Il peut ne concerner qu’un seul opérateur, sinon au moins trois et dans ce cas avec ou sans remise en concurrence selon les termes et critères de l’accord.

4)    Recours et mesures correctives

Les 10 articles du titre IV sont entièrement consacrés aux règles applicables aux recours. Tout d’abord, l’article 55 prévoit que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible » ; ils s’assurent notamment que les procédures de recours sont accessibles et peuvent exiger qu’ils soient introduits en premier lieu auprès du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice, auquel cas il y a effet suspensif immédiat sur toute possibilité de conclure le marché.
Les procédures de recours font l’objet de l’article 56 qui préconise que des mesures provisoires soient prises afin de corriger dans les meilleurs délais la violation alléguée ou à défaut d’empêcher tout préjudice qui en découlerait. Le paragraphe 5 introduit par ailleurs la possibilité de prévoir que l’instance chargée de la procédure tienne compte « des conséquences probables des mesures provisoires pour tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, en particulier en matière de défense et/ou de sécurité, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque leurs conséquences négatives pourraient l’emporter sur leurs avantages ». Cet aménagement responsabilise l’instance en question en permettant d’éviter que des programmes ou projets dont les enjeux sont conséquents ne risquent d’être compromis par un opérateur économique trop offensif. Si par ailleurs l’instance chargée d’instruire les recours n’est pas de nature juridictionnelle, il doit être possible de saisir une autre instance qui soit une juridiction indépendante.
En cas d’absence injustifiée d’avis de marché, de violation liée à la procédure de recours  ou de dérogation aux délais de recours par un accord-cadre, l’article 60 stipule que le marché doit être déclaré « dépourvu d’effets » par l’instance de recours indépendante, les conséquences de l’absence d’effets étant déterminées par le droit national. Toutefois, des « raisons impérieuses d’intérêt général » en matière de défense et de sécurité peuvent imposer que les effets du marché soient maintenus - l’intérêt économique ne pouvant pas être considéré comme une raison impérieuse d’intérêt général, sauf « dans le cas où l’absence d’effets aurait des conséquences disproportionnées ». Quoiqu’il en soit, l’absence d’effet ne pourra pas être prononcée si ses conséquences peuvent « sérieusement menacer l’existence même d’un programme de défense et de sécurité plus large qui est essentiel pour les intérêts d’un État membre en matière de sécurité ».
Pour les cas où l’absence d’effet ne peut pas être prononcée, l’article 61 prévoit des sanctions de substitution qui doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives » : pénalités financières ou réduction de la durée du marché.
L’article 63 introduit pour sa part la possibilité d’une intervention de la Commission avant la conclusion d’un marché lorsqu’elle considère qu’une violation grave du droit communautaire a été commise au cours de la procédure de passation : elle en demande alors la correction par des moyens appropriés.
Enfin une démarche volontaire de transparence peut être engagée ex-ante par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice au moyen d’un avis formel  pour justifier l’attribution d’un marché sans publication préalable au Journal officiel de l’Union européenne (Article 64). Cette possibilité innovante permet au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice, en informant la Commission dès le début de la procédure, de se protéger des conséquences éventuelles d’un litige ultérieur.

B.   De nouvelles opportunités ?

La Directive MPDS a vocation à augmenter la proportion des dépenses militaires affectées à la recherche et aux développements (R&D) afin de permettre la recherche de synergies entre recherches civiles et militaires et de créer des « réseaux de ressources » mutualisés aux niveaux politique, industriel et scientifique. En matière de sous-traitance, l’amélioration de la transparence et du jeu de la concurrence doit aider les petites et moyennes entreprises (PME) à trouver des marchés et à soumissionner pour les remporter, mais la transposition des mesures les plus structurantes est laissée à la diligence des États membres.

1)    Recherche et développement

Dans sa communication du 5 décembre 2007 [COM(2007) 764 final], la Commission appelle l’attention sur le faible niveau des budgets de R&D dans le domaine de la défense (moins de 5% des budgets de défense de l’UE24 en 2005) et estime que leur augmentation « doperait la compétitivité en dynamisant la capacité d’innovation de l’industrie européenne de la défense » sous réserve de chercher mutualiser ces recherches et à créer des synergies entre les programmes. En France, la recherche-développement de défense connaît pourtant une reprise significative depuis le début des années 2000, même si ses effets sur l’économie sont difficiles à mettre en évidence. Toutefois, les analyses portant sur les entreprises montrent une relation entre innovation et productivité et soulignent le rôle moteur d’un système national d'innovation sur leurs performances.
Alors que certains analystes estiment que les principes de la concurrence, des contrats et des prix fermes ne sont pas applicables à des activités incertaines comme la R&D, la directive offre un cadre souple qui s’accommode de cette spécificité sans pour autant interdire de dérogation.
Ainsi, le considérant 55 mentionne que "l'encouragement de la recherche et du développement constitue un moyen crucial de renforcer la BITDE", c'est pourquoi la directive écarte de son champ d'application certains contrats de R&D et autorise l'utilisation de la procédure négociée sans publication d'avis de marché pour les fournitures et services afférents.
Toutefois, l'ouverture du marché de l'armement à la compétition est cruciale pour la compétitivité de  l'industrie de défense européenne et la création d'un marché européen de la défense et de la sécurité. Aussi, afin de répondre aux exigences de l'article 11 en matière d'exclusions tout en respectant le caractère exceptionnel de la procédure négociée sans publication d'un avis de marché rappelé par le considérant 50, il est primordial de définir précisément les limites d'une phase de R&D.
L'article 1 de la directive définit la "recherche et développement" (R&D) comme un "ensemble d'activités regroupant la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental" en y incluant la réalisation de démonstrateurs technologiques. Le considérant 13 apporte des précisions en définissant  les trois domaines constitutifs de la R&D : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le  développement expérimental. Il convient de noter qu'il exclut de la R&D les activités de pré-production, de conception et d'ingénierie industrielle, d'outillage ou de fabrication.
En matière d'exclusions, l'article 13 stipule que "les marchés passés dans le cadre d'un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement mené conjointement par au moins deux États membres en vue  du développement d'un nouveau produit" ainsi que, le cas échéant, pour les phases ultérieures du cycle de vie du produit, ne relèvent pas de la directive. Toutefois, pour les programmes nationaux, seule la phase R&D bénéficie de l'exclusion.  Un programme de R&D national pourra donc faire l'objet d'une procédure dérogatoire au titre des articles 13 (exclusions spécifiques) et 28 (procédure négociée sans publication), sous réserve que les phases suivantes fassent l'objet de contrats selon une procédure normale de la directive (sauf exclusions pertinentes). A défaut, le marché pourra comprendre la phase de R&D et les phases suivantes, auquel cas il fera l'objet d'une procédure normale.
L'article 13 propose dans son paragraphe (j) une exclusion pour les services de recherche et de développement "autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice pour son usage dans l'exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation du service soit entièrement rémunérée" par ceux-ci. Autrement dit, les marchés de services de recherche et de développement rémunérés ne peuvent échapper à la directive que si le fruit en est partagé (bénéfices, propriété intellectuelle...). Cette exclusion, héritée de la directive 2004/18/CE est principalement destinée aux contrats de services de R&D cofinancés sur le principe d'un partage des coûts et/ou des bénéfices.
Pour les marché de fournitures et de services de R&D rémunérés par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice qui souhaite s'en octroyer exclusivement les bénéfices, on se place dans le cas du paragraphe (2.a) de l'article 28 justifiant le recours à la procédure négociée sans publication d'un avis de marché.
On notera par ailleurs que répond à la définition d'un "marché de service" tout marché de produits et de services dont la valeur des services dépasse celle des produits. Ainsi, un marché de démonstrateur technologique pourra être considéré comme un contrat de fourniture : il ne pourra pas bénéficier des conditions d'exclusion du paragraphe (j) de l'article 13 mais pourra être dispensé de publication s'il répond aux critères du paragraphe (2.b) de l'article 28 justifiant le recours à la procédure négociée sans publication pour les produits fabriqués uniquement à des fins de R&D.

2)    Sous-traitance

La situation des Petites et Moyennes Entreprises (PME) apparaît comme une préoccupation majeure de la Commission qui souligne les nombreuses mesures prises à leur profit au travers du code de conduite de l’AED, de l’initiative « Recherche au profit des PME » et de la directive MPDS qui comporte, outre ses dispositions relatives à la transparence et à la libre-concurrence et à son considérant 40, six articles spécifiquement consacrés à la sous-traitance (articles 21 et 50 à 54).
L’approche de la Commission part du principe que les sous-traitants bénéficieront de l'ouverture des marchés de la défense nationale s’ils ont accès aux chaînes d'approvisionnement des grands intégrateurs de systèmes situés dans autres États membres.
Il s’agit de favoriser la concurrence dans la chaîne d’approvisionnement en écartant les pratiques d’attribution de marchés de sous-traitance au titre de compensations.
Les dispositions de sous-traitance de la directive sont construites sur le principe de non-discrimination et  les marchés passés conformément aux règles spécifiques énoncées dans le Titre III (articles 50 à 54). L’article 21 (1) précise également qu’il ne peut être exigé du soumissionnaire « qu’il se comporte de manière discriminatoire à l’égard de sous-traitants potentiels en raison de leur nationalité ».
Les marchés de sous-traitance peuvent être passés selon l’ensemble des procédures prévues par la directive, y compris la procédure négociée sans publication d'un avis de marché.
L’article 21 prévoit également que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice peut obliger un adjudicataire à sous-traiter une partie du contrat et intervenir dans la méthode de sélection des sous-traitants (1). Toutefois, l’article 50 libère de ces exigences « les entreprises qui se sont groupées pour obtenir le marché » et « les entreprises qui leur sont liées ». Les conditions prévues par l’article 21 ne préjugent pas pour autant « la question de la responsabilité de l’opérateur économique principal » (7).
L’article 21 de la directive prévoit plusieurs options pour la sous-traitance que les États-membres pourront aménager dans le cadre des transpositions nationales :
-  l'adjudicataire décide la part de sous-traitance, son périmètre et à qui l’attribuer (le pouvoir adjudicateur se limite à vérifier la fiabilité et la sécurité de la chaîne d'approvisionnement) ;
- l'adjudicataire décide la part de sous-traitance et son périmètre - le pouvoir adjudicateur décide des sous-contrats à publier ;
- le pouvoir adjudicateur décide la part de sous-traitance à mettre en concurrence (au maximum 30% de la valeur du marché) - l'adjudicataire décide du périmètre concerné. A ce propos, le considérant 40 rappelle que « la bonne organisation de la chaîne d'approvisionnement de l’adjudicataire » ne doit pas être compromise ;
- le pouvoir adjudicateur fixe un pourcentage minimum de sous-traitance à mettre en concurrence et impose une mise en concurrence pour certains contrats que le soumissionnaire entend sous-traiter au-delà de ce pourcentage.
L’ensemble des exigences relatives à la sous-traitance seront indiquées dans l’avis de marché, notamment les critères objectifs et non discriminatoires appliqués pour sélectionner les sous-traitants, notamment ceux qui peuvent conduire à rejeter les sous-traitants potentiels.
Dans tous les cas, l'offre doit contenir les renseignements et documents nécessaires à l’évaluation des capacités attendues, notamment en matière de sécurité des informations.
L’article 52 (6) donne aux États membres la possibilité d’attribuer des contrats de sous-traitance sur la base d’un accord-cadre conclu conformément aux règles énoncées au titre III, sous réserve que l’accord n’excède pas sept ans et ne soit pas utilisé « de façon abusive ou de manière à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence ». Ce type d’accord est de nature à favoriser la constitution d’ une chaîne d'approvisionnement reposant sur des sous-traitants sélectionnés d'une manière transparente et non discriminatoire.
Toutefois, l'adjudicataire n’est pas tenu de sous-traiter s’il prouve qu'aucun des sous-traitants participant à la compétition ou qu’aucune des offres proposées ne répondent aux critères indiqués dans l'avis de sous-traitance et l’empêchent ainsi de remplir les exigences énoncées dans le contrat principal.
Conformément à la logique de la directive, l'article 51 prévoit que « le soumissionnaire retenu agit dans la transparence et traite les sous-traitants potentiels sur un pied d’égalité et de manière non discriminatoire ».
Même si un candidat sous-traitant ne peut lancer une procédure de recours contre l’adjudicataire du marché principal (la procédure ne concerne que les marchés de travaux, de services ou de fournitures visés à l’article 2), il convient de considérer que le droit des contrats peut être utilisé par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice contre un adjudicataire défaillant au titre des règles de sous-traitance du contrat principal.
L’usage montrera si le souhait de la Commission de favoriser la concurrence dans la chaîne d’approvisionnement et d’écarter la pratique des compensations se concrétisent dans les transpositions nationales puis dans la pratique. Si la discrimination sur la nationalité est interdite par la directive et si l’ensemble des procédures de passation sont autorisées pour les marchés de sous-traitance, y compris les accords-cadres, la possibilité du pouvoir adjudicateur d’intervenir sur la part de sous-traitance et d’imposer une mise en concurrence demeure optionnelle pour la transposition. Certes, les responsabilités sont équilibrées puisque l’adjudicataire n’est pas tenu de sous-traiter si cela l’empêche de remplir les exigences du contrat et le pouvoir adjudicateur a pour sa part la possibilité de faire valoir ses exigences en recourant au droit des contrats, mais une transposition trop hétérogène des options et la possibilité de recourir aux exemptions risque d’atténuer l’effet de la directive sur la pratique des compensations. Restent la transparence et la non discrimination qui peuvent laisser espérer un sort meilleur aux PME.

C.   Des alternatives aux exemptions

Ce cadre et les opportunités qu’il offre sont de nature à limiter l’intérêt pour les États membres de recourir à l’article 296. La Directive offre par ailleurs de nombreuses alternatives aux exemptions, qu’il s’agisse des outils de sélection des candidats en fonction de critères de performance, de fiabilité, de compatibilité avec les normes européennes, des moyens d’information les concernant ou encore de la mise en œuvre de programmes en collaboration entre États membres.

1)    Intérêt de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE)

Le recours à l’article 296 TCE dont les principes ont été exposés en II. A. 1) permet aux États-membres d’échapper au cadre réglementaire imposé aux marchés de défense par l’Union et par voie de conséquence au contrôle de la Commission ou aux procédures éventuelles portées devant la CJUE par des soumissionnaires non retenus. Il leur permet surtout de privilégier leurs industries nationales de défense et les emplois directs ou indirects qu’elles génèrent, de soutenir l’investissement ainsi que d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements. Nombre d’intérêts essentiels qui relèvent de leur sécurité, de leur prospérité et de leur souveraineté.
Toutefois, son utilisation systématique contribue à la fragmentation du marché de la défense qui se manifeste par des barrières à l’entrée écartant tout risque de concurrence mais aussi toute opportunité de renouvellement des acteurs économiques et une perte de compétitivité qui décourage l’innovation et fragilise la BITDE.
Dans ce contexte, un recours trop fréquent à l’article 296 ne semble pas profitable à long terme car une ouverture progressive et contrôlée du marché apparaît nécessaire pour entretenir une dynamique de concurrence. Toutefois, la plupart des contingences spécifiques aux besoins de la défense telles que les situations d’urgence, la sensibilité des technologies ou la sécurité des approvisionnements qui requièrent des procédures, des clauses et des garanties particulières n’étaient jusqu’à présent pas prises en compte par le corpus légal et réglementaire des marchés publics, tant au niveau européen que national. Même la Directive 2004/18/CE[5] est considérée inadaptée à de nombreux marchés de défense, puisqu'elle ne prend pas en compte les caractéristiques spécifiques à ce secteur. Les responsables de marchés de la défense l’appliquent donc peu.
Ainsi, l’invocation des intérêts essentiels de sécurité par un État-membre pour justifier le choix d’une procédure négociée sans publication d’avis de marché semble vouée à intervenir dans un nombre de cas plus restreints, qu’il s’agisse de questions de protection d’informations sensibles ou de production ou de commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre. En effet, les possibilités offertes par la directive 2009/81 gomment la plupart des arguments tant économiques que sécuritaires qui conduisaient jusqu’à présent à recourir à l’article 296 : sécurité de l’information, sécurité des approvisionnements, entretien de savoir-faire spécifiques, etc.
Toutefois, l’intérêt essentiel des États ne peut pas être remis en question sur des domaines de souveraineté ou considérés comme vitaux, toutes questions qui imposent de préserver un « ultima ratio regum » qui continuera à s’appuyer sur l’article 296. Mais peut-on en délimiter précisément le périmètre ? Il existe par exemple de nombreux systèmes qui n’intègrent qu’en partie des technologies sensibles pour lesquelles les notions de souveraineté ou de secret peuvent être invoquées. Si les domaines comme le nucléaire ou la cryptologie ne posent pas question, qu’en est-il d’un vecteur multi-rôle comme le Rafale qui peut mettre en œuvre l’armement nucléaire ou d’un avion de patrouille maritime comme l’Atlantique 2 qui participe à la sécurité des SNLE[6] ?
Partant du constat qu’une communication  interprétative était le seul instrument approprié pour clarifier les conditions d'application de l'article 296 TCE, la Commission a tenté de préciser les contours d’une application raisonnée de cet article et elle a préconisé de l’accompagner d’une nouvelle directive spécifique à la défense. C’est désormais chose faite avec la transposition dans les législations et réglementations nationales de la directive MPDS.
D’après un rapport de l’UEO, la position de la France à propos de la Communication interprétative est qu’elle « n’apporterait aucun élément nouveau permettant d’atteindre l’objectif visé qui est d’accroître l’efficacité des dépenses de défense et de renforcer la BITD européenne »[7]. A l’époque, le gouvernement souhaite la mise en place d’« un outil intergouvernemental et expérimental de rationalisation du marché », un code de conduite (CoC) sur la politique d’acquisitions à élaborer et à mettre en place dans le cadre de l’Agence européenne de défense, ce qui est fait dès mars 2005, avant même la Communication de la Commission[8]. Si les principes du CoC font l’objet d’un large consensus entre les Etats européens, des divergences apparaissent dans la manière de les appliquer, les besoins, les capacités industrielles et les intérêts étant hétérogènes.
En matière de défense, les Français considèrent comme nécessaire et urgent de mettre en place des capacités pour les opérations militaires de moyenne et de forte intensité alors que la PSCD et les choix capacitaires qui en découlent orienteraient la BITDE vers des équipements qui ne correspondent pas aux besoins prioritaires des forces françaises ni aux points forts de son industrie de défense. C’est ainsi que le gouvernement français privilégiera le partenariat avec le Royaume-Uni en matière de sécurité et de défense, car la distance séparant les orientations stratégiques des deux pays s'est réduite depuis le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Les opérations récentes en Libye ont par ailleurs démontré l’intérêt d’un tel rapprochement.
Pour sa part, le Royaume-Uni demeure à l’époque dépendant de ses fournisseurs extérieurs, notamment américains et les britanniques considèrent qu’il convient d’améliorer l’efficacité des mécanismes existants. Dans cette logique, ils estiment qu’il convient plutôt de clarifier les règles communautaires relatives aux marchés de défense et de veiller à leur application par les États membres. Toutefois, ils préfèreront le CoC, démarche intergouvernementale et volontaire, à une directive : « Il est évident que nous nous serions opposés à toute réglementation qui a des effets sur l’application de l’article 296 TICE ou qui tend à la réglementer »[9].
Observera-t-on un infléchissement de l’emploi de l’article 346 TFUE et faut-il faire une liste exhaustive actualisée des produits auxquels il s’applique ? Le retour d’expérience sur l’application du nouveau cadre et la jurisprudence à venir permettront sans doute de répondre à ces questions.

2)    Alternatives aux exemptions

La directive 2009/81 comporte des dispositions qui prévoient des cas d'exclusion dont certains découlent des directives 2004/17/CE et 2004/18/CE,  les autres  répondent pour leur part à certaines spécificités des marchés de défense et de sécurité :
- Marchés passés en vertu de règles internationales (Article 12);
- Informations essentielles pour la sécurité (Article 13(a));
- Activités intéressant le renseignement (Article 13(b);
- Programmes menés en coopération (Article 13(c));
- Contrats passés en zone d'opérations extérieures (Article 13(d));
- Marchés passés entre gouvernements (Article 13(f)).
La directive offre par ailleurs de nombreuses alternatives aux exemptions en proposant des outils à même de répondre aux exigences des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices en matières de garanties relatives à la fiabilité des soumissionnaires et de leurs sous-traitants, de sécurité de l’information et des approvisionnements ou encore de propriété intellectuelle. Pour ce faire, ils disposent de procédures de sélection des candidats en fonction de critères de performance, de prix ou plus généralement de compatibilité avec les normes européennes.
Afin d’inviter les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices à s’inscrire dans ce cadre et à réduire progressivement le champ des « intérêts essentiels » justifiant un recours à l’article 346 TFUE, l’Article 11 de la directive rappelle que les exclusions ne peuvent être utilisées « aux fins de se soustraire aux dispositions de la présente directive », ceci afin de garder à l’esprit que la jurisprudence de la CJUE prohibe toute utilisation non justifiée de procédures dérogeant aux règles de transparence et de libre concurrence.
Le considérant 45 prévoit également « la possibilité pour les États membres d'instaurer des listes officielles d'entrepreneurs, de fournisseurs ou de prestataires de services ou une certification par des organismes publics ou privés ». L’habilitation des entreprises vient s’ajouter aux outils à même de faciliter les procédures et d’instaurer la confiance entre les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices et les opérateurs économiques.
Quoiqu’il en soit, la possibilité d’utiliser des critères de sélection très précis pour l’examen des offres et le choix des motifs permettant d’écarter les opérateurs économiques jugés douteux donne suffisamment de latitude aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices pour exprimer leurs exigences et identifier les meilleurs candidats.
Enfin, le passage obligé par le nouveau cadre légal et réglementaire issu de la transposition présente non seulement l’intérêt d’autoriser la plupart des exemptions communément requises par les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, mais surtout celui de protéger ces derniers face à un éventuel recours puisqu’ils pourront se prévaloir d’une démarche conforme à la lettre de la directive.


[1] COM(2007) 764 final, Stratégie pour une industrie européenne de la défense plus forte et plus compétitive [en ligne]. 05/12/2007, p7.
[2] Les transferts intra-communautaires sont hors du champ de la présente étude, ils  relèvent de la Directive 2009/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté.
[3] DIRECTORATE GENERAL INTERNAL MARKET AND SERVICES. Guidance Note of Directive 2009/81/EC, Security of supply, p.7, disponible sur http://ec.europa.eu/internal_market/publicprocurement/ index_fr.htm.
[4]« Crise : toute situation dans un État membre ou dans un pays tiers, dans laquelle des dommages ont été causés, dont les proportions dépassent clairement celles de dommages de la vie courante et qui compromettent substantiellement la vie et la santé de la population ou qui ont des effets substantiels sur la valeur des biens, ou qui nécessitent des mesures concernant l’approvisionnement de la population en produits de première nécessité; il y a également crise lorsqu’on doit considérer comme imminente la survenue de tels dommages; les conflits armés et les guerres sont des crises au sens de la présente directive » (Définition tirée de l’article premier de la directive 2009/81/CE).
[5] L’article 14 de la Directive 2004/18/CE dispose que : "La présente directive ne s'applique pas aux marchés publics lorsqu'ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l'État membre considéré, ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l'exige."
[6] Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins.
[7] Document A/1917, 6 décembre 2005, Le marché européen des équipements de défense : l’article 296 du Traité instituant la Communauté européenne et le Livre vert de la Commission européenne – Réponse au rapport annuel du Conseil, Rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale par M. Franco Danieli, rapporteur (Italie, Groupe libéral). Disponible sur http://www.assembly-weu.org
[8] Le « Code de conduite » a été signé par les 24 États membres de l’AED (sauf  le Danemark qui bénéficie d’une exemption en matière de défense) et mis en œuvre par l’Agence européenne de défense à partir du 1er juillet 2006. Il repose sur cinq principes :
-    approche volontaire et non contraignante ;
-    traitement juste et égal des fournisseurs ;
-    transparence et une responsabilité mutuelle ;
-    appui mutuel ;
-    intérêt mutuel.
[9] Document A/1917, op.cit., p.22.

dimanche 14 octobre 2012

LBDSN et MDS (II)

      II. LES MARCHES PUBLICS DE DÉFENSE

Dans le domaine des marchés publics, on peut pointer le manque de souplesse de la réglementation européenne, mais il convient également de considérer les opportunités d’exemptions qu’elle offre afin de promouvoir de meilleures pratiques en matière d’acquisition. Le Royaume-Uni a pour sa part tiré les leçons de sa politique d’ouverture des années 90 qui l’a rendu dépendant des États-Unis et s’oriente désormais vers une démarche de pérennisation de ses capacités technologiques et industrielles. Dans la plupart des pays européens, on observe un recours massif aux exemptions qui permettent à certains, dont la France et le Royaume-Uni, de préserver leur marché national et à d’autres de s’ouvrir aux offres américaines, plus intéressantes. La France est quant-à-elle en conformité avec le droit communautaire qu’elle intègre dans son code des marchés publics dès 2001 avec plus tard une déclinaison propre aux spécificités des marchés de défense qui seront abordés dans un décret particulier en 2004.

A.    Un besoin d’assouplissement

Près de 80% des marchés en volume sont passés selon des procédures dérogatoires au code des marchés publics (CMP) afin de privilégier des fournisseurs nationaux dont les capacités de production sont connues, de capitaliser sur un savoir faire éprouvé ou de répondre à des échéances contraintes. Le cadre rigide du CMP ne se prête pas aux marchés de défense et son application stricte dans ce domaine serait de nature à fragiliser la BITD par rapport à des contractants de pays tiers non soumis aux mêmes contraintes ou bénéficiant de facilités ou de subventions.

1)    Un recours trop fréquent aux exemptions

Un recours trop fréquent au régime dérogatoire offert par l’article 296 du TCE a permis à certains États-membres de protéger leur industrie d’armement de toute concurrence, « entretenant le risque de voir porter devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)[1] des recours contentieux entretenus par un contexte peu propice à l’entrée sur ce marché[2] ».
Le premier alinéa de l’article 296 est ainsi libellé :
« Les dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux règles ci-après:
a) aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité;
b) tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »
Cet article offre un régime dérogatoire aux règles communes de transparence et de libre concurrence établies par le traité en permettant aux États membres de conserver le contrôle de leurs marchés publics de défense en attribuant des contrats aux entreprises domestiques par procédure négociée, sans publicité ni mise en concurrence. Ainsi, ils exercent leur souveraineté en toute indépendance, écartant toute possibilité de comparaison avec les offres équivalentes que pourraient déposer d'autres entreprises européennes. En effet, la notion d’ « intérêts essentiels de sécurité » et la qualification des renseignements afférents étant difficiles à remettre en cause, elles se prêtent à une interprétation extensive.
Il convient de noter par ailleurs qu’afin de lever toute ambiguïté susceptible de donner lieu à d'éventuels contentieux, l'article s’appuie sur une liste datée du 15 avril 1958 qui précise la nature des produits évoqués au b). L'alinéa 2 de l'article 296 offre la possibilité au Conseil, « statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission », d’apporter des modifications à cette liste qui n'a pourtant jamais été révisée à ce jour.
L'article 296 crée au sein de l'Europe de l'armement « un système institutionnel que l'on peut qualifier de verrouillé » alors qu' « un État membre qui ferait un usage raisonné de l'article 296 se placerait dans le champ d'application du droit commun communautaire »[3].
Pourtant, le cadre juridique de l'Union offre dès 2004 un régime adapté aux spécificités des marchés de défense avec la directive 2004/18/EC qui bien qu'elle porte sur les marchés publics civils, peut s'appliquer au domaine de la défense dès lors que l'article 296 n'est pas invoqué, sauf s'ils sont déclarés secrets, requièrent des mesures particulières de sécurité ou lorsque la protection des intérêts essentiels de l'État l'exige. La directive prévoit notamment un recours à la procédure négociée sans publication d’avis de marché lorsque :
-         le marché ne peut être confié qu'à un opérateur économique déterminé, pour des raisons techniques ou en situation d'urgence impérieuse ;
-         les produits concernés sont destinés à être utilisés à des fins de recherche, d'expérimentation, d'études ou de développement ;
-         des contraintes de compatibilité justifient le recours au fournisseur initial ;
-         des travaux ou des services complémentaires sont devenus nécessaires à la suite d'une circonstance imprévue.
Malgré ces aménagements, les adjudicateurs demeurent prudents et continuent à privilégier l’article 296 qui les préserve d’éventuelles procédures judiciaires susceptibles de compromettre des processus administratifs complexes déjà soumis à des risques économiques et financiers non négligeables.

2)    Le manque de souplesse du Code des marchés publics

Le processus de réflexion sur les marchés publics qui s'est développé au niveau européen à partir de la fin des années 90 a notamment donné lieu, en France, à plusieurs refontes du CMP. Le processus d'acquisition d'armements qui a connu pour sa part un certain nombre d'évolutions, a fait l'objet en 2004 d'un décret d'application[4] précisant les pratiques propres à ce type de marché. En effet, ce processus d'acquisition répond à des modes de régulation spécifiques.
L’acheteur public est confronté à un cadre règlementaire et jurisprudentiel pesant et consommateur de temps qui repose sur trois principes fondamentaux : liberté d’accès des candidats à la commande publique, égalité de traitement lors de l’attribution du marché et transparence de la procédure. Ces trois principes qui guident l’acheteur public durant toute la procédure de la publication de l’offre à la signature du marché font peser sur lui une lourde responsabilité susceptible d’être sanctionnée, par les articles 432-14 et 432-12 du code pénal qui sanctionnent respectivement le délit de favoritisme (fait de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié) et la prise illégale d’intérêts (fait de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération). Au-delà de la sanction personnelle lourde encourue par le « pouvoir adjudicateur »[5], c’est le marché lui-même qui peut être compromis au terme de la procédure, d’autant plus que la transposition en droit français de la directive « recours » par l’ordonnance 2009-515 du 7 mai 2009 autorise désormais l’émergence d’un contentieux propre à encourager la sécurisation juridique des procédures de passation des marchés.
Un marché public se décompose en huit étapes que le gestionnaire public doit veiller à exécuter avec la plus grande rigueur :
1)     La détermination préalable du besoin permet de définir le périmètre du marché ;
2)     L’estimation du montant global du besoin déterminera le mode de passation requis ;
3)     Le choix de la procédure qui dépend du montant du besoin et de l’option de mise en concurrence[6] :

Procédure adaptée[7] - AAPC[8] - JOUE[9]
Il existe des procédures de passation de droit commun (appel d’offres, dialogue compétitif, conception-réalisation, concours et marché de définition) ainsi que des procédures exceptionnelles, dûment limitées par le CMP, qui peuvent être mises en œuvre quel que soit le coût du marché s’il existe des contraintes particulières en matière d’accès à la commande publique :
-         Marchés négociés avec publicité préalable et mise en concurrence, qui concernent des services financiers, certaines prestations intellectuelles ou qui font suite à un dialogue compétitif ou à un appel d’offres infructueux ; ils permettent un gain de temps en dispensant de lancer une nouvelle procédure et autorisent plusieurs négociations, notamment sur les prix ;
-         Marchés négociés sans publicité et mise en concurrence, qui sont justifiés par un cas d’urgence impérieuse ou qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique notamment pour des raisons techniques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ; ils n’imposent aucun délai de consultation et autorisent plusieurs négociations, notamment sur les prix ;
Il convient de noter que les marchés négociés sans publicité et mise en concurrence imposent de démontrer l’exclusivité détenue par l’opérateur (brevets par exemple) ou d’invoquer le cas d’urgence impérieuse seulement si elle n’est pas imputable à des lacunes organisationnelles de l’administration.
4)     L’établissement de règles de mise en concurrence (AAPC et règlement de consultation) qui impose de définir précisément les critères d’évaluation des candidatures et des offres ;
5)     L’élaboration d’un cahier des charges (clauses administratives et techniques) ;
6)     Le choix du titulaire qui s’appuie sur les éléments ci-dessus et s’opère de manière transparente, par une analyse au cas par cas, sans pour autant favoriser le moins-disant ; la réunion d’une commission d’appel d’offres n’est plus obligatoire depuis décembre 2008 mais elle n’est pas pour autant prohibée car elle garantit une certaine sécurité juridique ; à ce stade, les candidats évincés disposent de dix jours pour obtenir des informations et déposer éventuellement un référé suspension ou un référé précontractuel ;
7)     La notification du marché est suivie de son exécution avec l’édition éventuelle de bons de commandes ou d’avenants ou encore la possibilité d’une reconduction à terme ou de marchés complémentaires; le marché est exécuté sous le contrôle du pouvoir adjudicateur qui a la possibilité de sanctionner un titulaire défaillant (pénalités, réfactions, résiliation…) ;
8)     La fin du marché ou son renouvellement par une nouvelle consultation.
Bien que le CMP ait évolué au gré de ses refontes successives, il n’en comporte pas moins un certain nombre de contraintes qui peuvent s’avérer dirimantes pour des pouvoirs adjudicateurs soumis à des exigences fortes en termes d’enjeux opérationnels, stratégiques ou financiers. Tout d’abord, les délais de réalisation d’un marché sont d’environ huit mois pour un appel d’offres complexe, voire bien davantage dans le cas d’une procédure de dialogue compétitif. Sa formalisation mobilise d’importantes ressources humaines pour l’estimation du besoin, l’élaboration des cahiers des charges, l’exécution des actes de notification, des constats, des règlements, des contrôles, etc. Au plan financier, l’exécution du marché est rarement en phase avec le calendrier d’exécution de la gestion et une procédure lancée en milieu d’année peut voir les crédits de paiement afférents réglés seulement l’année suivante. Enfin, en cas de contentieux, une revue complète du processus peut être nécessaire et aboutir à l’annulation pure et simple du contrat : s’agissant de marchés d’ampleur, le niveau des enjeux donne la mesure des conséquences d’un échec.
Enfin,  le Conseil Constitutionnel a donné en 2003 une valeur constitutionnelle[10] aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures  qui figurent dans l’article 1 du CMP. Cette Décision, de nature à accentuer la pression mise sur les pouvoirs adjudicateurs, risque les pousser vers une plus grande sécurité juridique au détriment de l’efficacité de leur gestion.

B.    Au Royaume-Uni, les revers de l’ouverture

Dans les années 90, le Royaume-Uni a ouvert son marché tout en pratiquant une politique d’achat au meilleur prix, sans stratégie industrielle explicite, ce qui l’a conduit à une perte de compétence et à une forte dépendance à l’égard des États-Unis. La « Defense initiative strategy » (DIS) de 2006 a constitué un revirement en affirmant la nécessité de garantir la pérennité de capacités technologiques et industrielles nationales.

1)    Un retrait du secteur public

Le Royaume-Uni consacrait en 2008 16 milliards de livres par an aux programmes d'équipement  de défense (17,8 milliards d’euros), dont 2 milliards de livres (2,2 milliards d’euros) pour les forces engagées en Irak et en Afghanistan. Il engage plus de 25% du total des dépenses de défense de l’Union et près de 40% des dépenses de R&D : c’est donc avec la France un acteur majeur du secteur. Toutefois, ces investissements profitent peu à son industrie domestique.
Après un retrait du secteur public dans l’économie britannique sous les gouvernements Thatcher des années 80, le Royaume-Uni a connu un net recul de son industrie de défense en ouvrant son marché à l’international et en conduisant une politique d’acquisition qui jouait sur la concurrence afin d’obtenir les meilleur prix.
En 1998, devant le risque de délitement de l’industrie de défense britannique, le ministère de la défense (MoD) a procédé à une « Strategic Defence Review » (SDR)[11] qui lui a permis d’offrir une meilleure visibilité des plans d’équipement à ses fournisseurs et d’optimiser ses processus d’acquisition par la prise en compte du coût global de possession des systèmes. Les nouveaux modes d’acquisition prévoient notamment un recours systématique, sauf pour les domaines les plus sensibles, à la procédure d’appel d’offres avec mise en concurrence au niveau international. Laissant opérer la régulation économique du secteur, le gouvernement a également privilégié de nouveaux outils de gestion publique comme la « Private finance initiative », forme de partenariat public-privé appliqué aux équipements de défense comme les hélicoptères de combat, les systèmes de surveillance de l’espace aérien ou aux services comme la formation de techniciens.
Les entreprises britanniques, privées du soutien de l’État, se sont trouvées fragilisées et ont prêté le flanc à la concurrence et aux acquisitions étrangères. Cette situation a contribué à entretenir une dépendance technologique et opérationnelle avec les États-Unis au détriment de la coopération avec les partenaires européens dont le programme « Joint Strike Fighter » est un exemple significatif[12]. Par voie de conséquence, les rapprochements transatlantiques sont devenus plus fréquents à la fin des années 90, les firmes nord-américaines trouvant des relais aisés en Europe, grâce à l’industrie britannique.
L’ industrie de défense britannique présente désormais un actionnariat très dispersé marqué par la forte présence d’investisseurs étrangers dont la participation n’est pas soumise au contrôle de l’administration, même si l’État conserve une action spécifique (« golden share ») dans le capital des sociétés dont les activités sont jugées stratégiques, ce qui lui confère notamment un droit de veto sur certaines modifications des statuts.

2)    La nouvelle « Defence industrial strategy »

A partir de 2005, le Royaume-Uni a pris conscience de la nécessité de mener une politique industrielle volontaire avec l’adoption de la « Defence Industrial Strategy » (DIS), une stratégie industrielle de défense dont l’objectif est de rationaliser l’utilisation  des ressources disponibles et d’identifier des domaines d’excellence dans lesquels le pays doit s’investir et maintenir sa souveraineté. Les firmes de défense sont au cœur de cette stratégie, même si leurs capitaux sont internationaux et que certaines d’entre elles sont fortement implantées aux États-Unis. Le gouvernement britannique veille aux conditions dans lesquelles elles exercent leur activité à l’étranger, en particulier pour les questions de protection de la propriété intellectuelle, de transfert de technologies et d’équipements.
Désormais, la mise en concurrence n’est plus considérée comme un mode de fonctionnement prioritaire et les contrats peuvent être négociés sans publication dès lors qu’ils concernent des domaines sensibles en matière d’emploi, de savoir-faire ou de technologie (nucléaire, bactériologique, etc). La DIS intègre pleinement le partenariat avec l’industrie qui bénéficie d’engagements à l’échelle de la durée de vie des systèmes et de garanties sur la planification des acquisitions étatiques. L’industrie peut ainsi adapter ses investissements et mieux gérer les aléas de développement ou les risques en phase de production ou d’exploitation. Ces partenariats permettent de disposer des capacités industrielles nécessaires pour fournir aux armées des équipements évolutifs et soutenus durant tout leur cycle de vie tout en améliorant la compétitivité du contractant qui est amené à rationnaliser son réseau de sous-traitants. Le principe de « best value for money » des années 90 est donc passé au second plan au profit d’une politique industrielle plus volontaire.
Du côté industriel, la notion de souveraineté risque de poser problème dès lors que les principaux maîtres d’œuvre et équipementiers nationaux entendent continuer à se développer aux États-Unis. En effet, leur participation à des programmes de R&D américains complique les relations en matière de coopération et de transferts de technologie alors même que les choix concernant les nouvelles générations d’équipements ne sont pas encore tranchés côté britannique. Cette situation tend à accentuer la polarisation des entreprises vers le marché transatlantique, un contexte budgétaire contraint les incitant par ailleurs à pousser plus loin les restructurations. 
Si le pays entretient une relation privilégiée avec les États-Unis qui ne saurait être remise en cause, cette relation n’est pas pour autant exclusive et l’ouverture aux partenaires européens est également possible, dès lors qu’elle s’accommode d’engagements de même nature. Ainsi, le Royaume-Uni est signataire de la LoI de 1998, participe aux travaux de l'AED ainsi qu’à des programmes de l'OCCAr comme l’A400M.
Toutefois, le Royaume-Uni devra faire face à de nouvelles réductions budgétaires dans les années qui viennent, tout comme ses partenaires européens. Les coûts liés à l’engagement de ses forces n’étant pas amenés à baisser, les effets de la DIS risquent d’être considérablement atténués. D’après Hélène MASSON, « Alors que l’activité industrielle est aujourd’hui soutenue par les programmes d’équipements lancés au cours des années 2000, à horizon 2012-2015, la donne devrait profondément changer, et ce, quels que soient les secteurs. »[13]

C.    En France, une démarche exemplaire

Le code des marchés publics a été réformé plusieurs fois, notamment en 2004, par un décret qui introduit la procédure de « dialogue compétitif » ainsi que des modalités de contrôle a priori des marchés passés pour les besoins de la défense. Les dernières dispositions intégrées dans le CMP offrent un certain nombre d’avancées qui invitent le pouvoir adjudicateur à tenir compte du coût global d’utilisation du produit ou du service ou lui permettent de définir son choix d’opérateur en tenant compte de clauses sociales ou environnementales afin de concilier développement économique durable et progrès social. Par ailleurs, le décret 2009-193 du 18 février 2009 lui offre, dans le cadre d’une phase d’expérimentation, la possibilité de réserver une partie des marchés de haute technologie, de recherche et développement et d’études technologiques à des PME innovantes (mesure plafonnée par le seuil des procédures formalisées) ; cette exception aux règles communautaires d’égalité face aux marchés publics se justifie par une politique d’aide aux PME.
C’est ainsi que la France a proposé, à l’occasion de sa présidence de l’Union au second semestre 2008, les deux directives du « paquet défense » dont la seconde est relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité.

1)    Des dispositions spécifiques aux marchés passés pour les besoins de la défense

L’Article 4 du CMP prévoit que les dispositions spécifiques aux accords-cadres et marchés intéressant le code de la défense font l’objet d’un décret en Conseil d’État qui détermine les conditions particulières dans lesquelles ils sont passés. Ainsi, le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004, dit « décret défense », a été pris en application de cet article et concerne « certains marchés publics passés pour les besoins de la défense ».
Le décret défense prévoit un régime particulier qui ne peut être mis en œuvre que si un certain nombre de conditions très strictes sont réunies. Dans ce cadre, il vise une gestion performante des contrats d’armement tout en offrant des éléments de souplesse que le code de droit commun ne donne pas. Pour autant, il ne libère en aucun cas les personnes responsables de marchés[14] (PRM) de leurs responsabilités, notamment pénales, ni du respect des règles communautaires ou nationales de la commande publique. Le décret reprend des éléments du code des marchés publics en vue de  mieux encadrer le recours, d'ailleurs facultatif, aux règles dérogatoires de l'article 296 TCE. Toutefois, il ne dispense pas les PRM de justifier de son utilisation par une analyse au cas par cas montrant en quoi la protection des intérêts essentiels de l’État est en cause.
Les marchés pouvant entrer dans le périmètre du décret défense doivent satisfaire aux deux critères énoncés par l’article 296 TCE précité. Le décret fournit dans son article 1 des indications sur les accords cadres ou marchés susceptibles d’être concernés, comme par exemple les marchés de fournitures ayant pour objet l’acquisition d’armes, les marchés de services ayant pour objet l’essai d’une arme ou encore les études prospectives en lien avec la stratégie militaire ou l’emploi des armes. Par ailleurs, la DGA considère que « le fait que le marché soit passé pour les besoins exclusifs de la défense est un indice permettant de classer le matériel concerné parmi les armes, munitions et matériels de guerre»[15], si sa destination est de nature militaire.
En droit national, l’article 410-1 du code pénal donne une définition des intérêts fondamentaux de la nation, notion proche, mais plus large, des intérêts essentiels de l’État, ils relèvent notamment « de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger… », toutes notions qui permettent de guider la PRM sur l’invocation potentielle des intérêts essentiels de l’État pour justifier le choix de procédures dérogatoires. Comme évoqué plus avant, la liste du 15 avril 1958 permet de préciser la notion « d’armes, munitions ou matériels de guerre » prévue par l'article 296 du TCE, tout comme le décret-loi du 18 avril 1939 qui fixe en droit français le régime des matériels de guerre, armes et munitions[16].
Tous les accords-cadres et marchés entrant dans le champ du décret défense peuvent être passés selon la procédure négociée avec AAPC, toutefois, ils ne sont pas soumis à publication au JOUE[17]. S’ils requièrent en outre le secret, si leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité ou si la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige (b du paragraphe I de l’article 2), ils ne sont pas soumis à obligation de publicité. Enfin, le paragraphe II de l’article 2 du décret fixe un certain nombre de cas dans lesquels ces marchés sont passés sans publicité ni mise en concurrence :
-          Urgence, défaillance du titulaire ;
-         Domaines technologiques protégés ;
-         Marchés complémentaires à contraintes techniques ou rendus nécessaires par des circonstances imprévues ;
-         Prestations similaires à celles d’un marché précédent ;
-         Prestataire exclusif  (savoir faire, innovation, investissements, installations spéciales…) ;
-         Candidat sélectionné suite à un marché exploratoire ;
-         Coopération internationale formalisée, y compris dans le cadre d'un Memorandum Of Understanding (MOU).

Le décret défense élargit le champ d’application des marchés négociés avec mise en concurrence en introduisant quelques aménagements par rapport au code des marchés publics, puisqu’il envisage plus de cas que ce dernier. On observera notamment que :
-         l’urgence simple suffit à justifier l’absence de publicité ;
-         le décret autorise la passation sans publicité mais avec mise en concurrence pour pallier la défaillance d’un titulaire ;
-         l’absence de publicité pour les marchés « sensibles » quel que soit le type de prestation (travaux, fournitures ou services).
Autre innovation, le décret défense autorise la PRM à demander un certain nombre de renseignements supplémentaires permettant d’apprécier la capacité des candidats à exécuter le marché, sachant que les critères de sélection doivent figurer dans l’AAPC. On notera à ce titre que l’habilitation de l’entreprise candidate peut désormais faire l’objet d’une demande de renseignement et donc éventuellement servir à l’élimination des candidats, alors que la composition de l’actionnariat d’une entreprise ne pourra conduire à éliminer sa candidature que si les actionnaires majoritaires sont douteux ou difficiles à identifier.
Au plan économique, les renseignements relatifs à la valeur ajoutée créée sur le territoire national permettent de s’assurer que les capacités se rapportant aux prestations visées par le marché sont situées dans une zone[18] présentant des garanties suffisantes en termes de sécurité d’approvisionnement (par exemple, un pays couvert par un accord international de type Letter of Intent ou LOI).
L’administration peut également imposer aux maîtres d’œuvre de grands systèmes le recours à la mise en concurrence pour le choix des sous-traitants ou pour l'acquisition de sous-systèmes ou d'équipements. Par ailleurs, le motif de sécurité d'emploi d'un matériel – et lui seul – peut être invoqué pour exiger le recours exclusif à certains composants et sous-systèmes.
Les marchés à bons de commande sont autorisés à condition de ne pas être utilisés de façon systématique et sous réserve de prévoir un montant maximum et de tenir compte de la nécessité d'une remise en concurrence périodique.
Enfin, la possibilité pour le candidat de recourir aux services de l’État pour réaliser une partie des prestations doit être prévue dans le règlement de consultation.
Avec le décret défense, la France a fait un effort de transparence sur les critères et modalités du recours à l’article 296 TCE. En effet, ce document est le résultat d’une réflexion menée au sein de la DGA sur le positionnement vis-à-vis de Bruxelles à propos des pratiques en matière de passation de marchés publics de défense.

2)    Une politique industrielle pour la défense et la sécurité

A partir de 2007, le ministère de la défense a initié un certain nombre de mesures qui relèvent d’une politique industrielle propre aux secteurs de la défense et de la sécurité et créé dès l’année suivante la Commission interministérielle d'appui aux contrats internationaux (CIACI) dont le périmètre de compétence s’étend aux grands contrats civils. Il s’agit de coordonner l'action étatique de soutien aux exportations autour de projets jugés stratégiques en fonction de priorités sectorielles et géographiques.
Présidée par le directeur du cabinet du Premier ministre, la CIACI réunit sur une base bimestrielle les représentants des ministères de la défense, des affaires étrangères et européennes, de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Les services de la présidence de la République et du Premier ministre peuvent également y assister.
Cette politique de dynamisation des exportations fait l’objet d’un plan stratégique validé par la CIACI qui offre une vision globale du marché mondial des équipements de défense et des perspectives d'exportation de la France à court et moyen termes. S’agissant d’un document classifié, il en existe une version publique, le Mémento sur les exportations françaises d'armement, dont la diffusion offre au secteur industriel français une certaine visibilité sur la position de l’administration. En effet, le plan assigne des priorités géographiques en fonction de l'importance des marchés d'armement, de la solvabilité financière et de la pertinence politique. Outre les marchés à la fois porteurs et solvables situés au Moyen-Orient, en Asie-Pacifique et en Amérique Latine, certains pays dont la France est l'un des principaux fournisseurs se voient attribuer une position privilégiée même si leur situation est jugée fragile. Des priorités sectorielles sont également définies pour acquérir ou enrichir nos connaissances sur des secteurs émergents ou à fort potentiel ou pour préserver notre positionnement sur des secteurs parvenus à maturité ou déclinants.
Par ailleurs, de nouveaux axes d’effort ont été identifiés :
-         le recours aux offres globales couvrant à la fois l'amont et l’aval du contrat, de la définition du besoin jusqu’au maintien en condition opérationnelle ;
-         l’appui politique aux projets d'exportation stratégiques dans le cadre des relations bilatérales ;
-         la contractualisation d'État à État comme c’est le cas avec l'Arabie saoudite ;
-         l’enrichissement de la gamme export, les possibilités d’adaptation d’équipements existants et l’offre d’équipements d’occasion ;
-         la prise en compte  des besoins export en amont des projets.
Alors que le marché export représente en 2009 32% de l’activité des entreprises basées en France[19], l'objectif est de porter nos exportations d'armement à un niveau voisin de celui des commandes domestiques. Actuellement orientés en majorité vers le grand export, les contrats réalisés par la France sur la période 2000-2009 avec ses quinze principaux clients[20] ne concernent l’Union européenne que pour 26% du volume (environ 9700 millions d’euros sur un total de 37,6 milliards d’euros). L’annuaire statistique de la défense relève pour 2009 que les prises de commandes françaises ne concernent l’Union que pour 9,87 % d’un volume total évalué à 8 164,1 millions d’euros[21]. En confrontant cette proportion de commandes à la part d’activité export des entreprises basées en France, on peut estimer que la part d’activité « export UE » de nos entreprises avoisine les 3%, à comparer aux 68% consacrés au marché national. Aussi, la coopération industrielle doit être encouragée sous forme de production conjointe entre partenaires européens, comme c’est par exemple le cas dans le domaine des missiles avec l’initiative « one MBDA ».
En ce qui concerne les 4000 PME du secteur de la défense, l'État accompagne celles qui développent leur chiffre d’affaires à l’export avec un plan spécifique, lancé en 2007, qui vise notamment à améliorer leur information sur les opportunités de marchés susceptibles de les concerner. On notera la création de la fonction « correspondant PME – Export »  au sein de la DGA et l'organisation de rencontres en région entre représentants de l'État et des PME.



[1] Désormais « Cour de justice de l’Union européenne » (CJUE).
[2] COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES. Rapport n°306 du 15 février 2011 sur le projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité. Disponible sur http://www.senat.fr
[3] KIRAT Thierry et BAYON Denis. Les marchés publics de la défense, Droit du contrat public, pratique administrative et enjeux économiques. Bruxelles : Bruylant, 2006, p.102.
[4] Décret n°2004-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l’article 4 du code des marchés publics et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense.
[5] La notion de « pouvoir adjudicateur » a été introduite par le CMP dans sa dernière version du 1er août 2006.
[6] Pour un marché public relevant du CMP, l’emploi d’une procédure de publication inadéquate constitue un vice majeur faisant l’objet d’une annulation de la part du juge administratif, indépendamment des charges pénales pesant sur le pouvoir adjudicateur.
[7] On parle de « procédure adaptée » quand les formalités de publicité et de mise en concurrence sont établies par la personne responsable de marchés (PRM) alors qu’au-delà d’un certain seuil, la « procédure formalisée » est définie par le code.
[8] Avis d’Appel Public à la Concurrence.
[9] Journal Officiel de l’Union Européenne.
[10] Décision CC n°2003-473 du 26 juin 2003, JO du 3 juillet 2003 p.11205.
[11] Ministry of Defence, The Strategic Defence Review, Presented to Parliament by the Secretary of State for
Defence by Command of Her Majesty, july 1998, 60 pages. Disponible sur http://www.mod.uk
[12] Le programme JSF (F-35) a bénéficié de crédits de développement largement financés par les pays européens participants (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas et Italie).
[13] MASSON Hélène, la réorganisation de l’industrie de défense britannique, in Fondation pour la Recherche Stratégique, RECHERCHES & DOCUMENTS, n° 5/2008. Disponible sur http://www.frstrategie.org
[14] On parle désormais d’entité adjudicatrice ou de pouvoir adjudicateur.
[15] Guide d’application du décret concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense, 9 juillet 2004, p. 3. Disponible sur http://www.ixarm.com
[16] Disponible sur http://admi.net/jo/dl18avril1939.html
[17] Mesure curieuse puisqu’elle n’interdit pas à des entreprises étrangères de se porter candidates aux appels d’offres du BOAMP.
[18] L’implantation du patrimoine technologique ne correspond pas seulement à la localisation géographique des usines du prestataire, mais aussi aux pays dans lesquels il a déposé des brevets ou est titulaire de licences.
[19] Observatoire économique de la défense, Annuaire statistique de la défense 2010/2011. Paris : DICoD, 2011, page 75. Disponible sur http://www.defense.gouv.fr
[20] Cf. graphique Les principaux clients de la France sur la période 2000-2009 en annexe A.
[21] Cf. graphique La répartition des prises de commandes françaises par région géographique, Commandes en 2009 en annexe A.