dimanche 16 décembre 2012

LBDSN et MDS (V)


V. IL N'Y AURA PAS DE "BUY EUROPEAN ACT"

La jurisprudence actuelle montre les travers observés sur le dispositif existant et peut donner quelques indications sur les conséquences de la mise en œuvre du nouveau cadre législatif et réglementaire. Le moindre recours aux exemptions sera un indicateur de l’appropriation de ce nouveau cadre par les États-membres et l’occasion pour la France de promouvoir les meilleures pratiques en matière d’acquisition. La question de la stratégie adoptée par notre industrie de défense demeure centrale, notamment face au risque d’exposition à la concurrence extra-européenne, mais surtout en matière d’exploitation du potentiel du marché européen, de consolidation et d’intégration plus poussée dans la BITDE. L’action du gouvernement s’avérera décisive en matière de politique industrielle et de coopération, alors que l’engagement sur la voie d’un partenariat bilatéral risque de nous éloigner du cadre de la Directive.

A.    L’épreuve de la jurisprudence

Alors que la jurisprudence actuelle concerne principalement des recours abusifs aux exemptions, la Directive MPDS décrit de manière exhaustive le contexte et les outils qui permettront progressivement de limiter ces exemptions. Elle offre ainsi un nouveau terrain d’exercice pour une jurisprudence qui sera potentiellement saisie d’autant de sujets de litiges que le texte comporte de moyens d’ouverture du marché à la concurrence et d’exclusion de soumissionnaires.  

1)    Orientations de la jurisprudence

La consultation qui a fait suite à la publication du livre vert sur les marchés publics de défense de 2004[1] a confirmé que le cadre législatif alors en vigueur pour les marchés de défense ne fonctionnait pas correctement. Des incertitudes persistaient notamment quant à la portée de l'article 296 du traité CE dérogatoire aux règles du marché intérieur et la directive 2004/18/CE était pour sa part inadaptée aux spécificités des marchés de défense.
La Commission tentera de clarifier le cadre juridique par l'adoption d'une "Communication interprétative sur l'application de l'article 296 du traité CE dans le domaine des marchés publics de la défense[2]" et proposera sans succès un projet de directive sur les marchés d'équipements de défense auxquels la dérogation de l'article 296 ne s'appliquerait pas.
La jurisprudence européenne sur le sujet est rare, c’est pourquoi la Commission publie l'année suivante, une nouvelle communication en vue d’éviter « de possibles interprétations erronées et usages abusifs de l'article 296 dans le domaine des marchés publics de la défense »[3]. Elle y expose sa lecture des conditions dérogatoires offertes par l'article 296 à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) à laquelle il revient en définitive de déterminer la portée de l'article.
La communication comporte des lignes directrices destinées à aider les personnes responsables de marchés de défense à décider si le recours à l'exemption est justifié : son intérêt réside dans l’analyse et la clarification du cadre juridique.
Dans le cadre juridique antérieur, les marchés de défense étaient soumis aux règles du marché intérieur, ce qui revient à dire que la directive 2004/18/CE sur les marchés publics de travaux, de fournitures et de services s'appliquait « sous réserve de l'article 296 du traité » (article 10 de la Directive), ou encore sous réserve que les conditions fixées par le traité telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de Justice soient remplies. Par conséquent, le recours à l'article 296 pour les marchés de défense conduit à la non-application de la directive 2004/18/CE, qui est l'instrument juridique servant à garantir le respect des principes fondamentaux du marché intérieur. Le traité soumet donc le recours à cette dérogation à des conditions strictes afin de prévenir d'éventuels usages abusifs et de s'assurer que les recours à la dérogation demeurent exceptionnels.
La jurisprudence de la CJCE conforte la position de la Commission sur ce point puisqu’elle indique que toute dérogation aux « règles visant à garantir l'effectivité des droits reconnus par le traité dans le secteur des marchés publics de fournitures » doit « faire l’objet d’une interprétation stricte »[4] et qu’ « il incombe à celui qui entend s’en prévaloir d’apporter la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement »[5]. Dans l'affaire Commission contre Royaume d'Espagne, la Cour a jugé que les articles dans lesquels le traité prévoit des dérogations, dont l'article 296, « concernent des hypothèses exceptionnelles déterminées, et ne se prêtent pas à une interprétation extensive en raison de ce caractère limité"[6], ajoutant qu’il appartient à l’Etat membre de fournir la preuve que ces exonérations s’appliquent[7].
En ce qui concerne le champ d’application de l’article 296, la CJCE confirme l’approche restrictive de la Commission et le limite strictement aux armes, munitions et au matériel de guerre - liste du 15 avril 1958 citée au paragraphe 1, lettre b) de l’article - qui « n'a pas vocation à s'appliquer aux activités concernant des produits autres que les produits militaires identifiés sur [cette] liste »[8].
La Cour a également confirmé à plusieurs occasions que l'article 296 n'introduit pas d'exemption automatique dans le domaine de la défense[9] et l'existence de l'article 298 qui établit une procédure spéciale en cas d'usage abusif de l'article 296, confirme que les États membres ne disposent d'une liberté de manœuvre limitée. C’est ainsi que suite à la pratique répétée par l’Italie d'attributions directes de marchés, la Commission a introduit un recours pour l'achat à Agusta SpA d’hélicoptères destinés à couvrir les besoins de plusieurs corps militaires et civils de l’État italien, en dehors de toute procédure de mise en concurrence. La Cour a souligné dans cette affaire que " l’achat d’équipements, dont l’utilisation à des fins militaires est peu certaine, doit nécessairement respecter les règles de passation des marchés publics "[10].

2)    Conséquences du nouveau cadre juridique

L’évolution du cadre juridique[11] induite par la transposition de la directive 2009/81/CE a tout d’abord donné lieu à la promulgation d’une loi qui vient combler un vide juridique en droit français : elle permet notamment de délimiter précisément le périmètre des marchés qui relèvent de l’ordonnance n°2005-649 (non soumis au code des marchés publics), les autres marchés pouvant relever soit du CMP, soit du décret MPDS, soit de l’article 346 du TFUE (ex-article 296 TCE). Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices disposent ainsi d’une grille d’analyse qui leur permet d’identifier le régime juridique approprié pour le marché envisagé, d’un régime national de droit commun à un régime dérogatoire de droit UE en passant par les diverses procédures adaptées désormais transposées en droit français. Ensuite, les critères permettant d’écarter certains opérateurs ont été enrichis par la transposition afin de pouvoir se prémunir notamment des opérateurs peu fiables, des « faux nez » ou tout simplement de pouvoir fermer le marché aux opérateurs économiques tiers à l’Union pour préserver la BITDE. A cela s’ajoute l’adaptation des possibilités de sanction offertes au juge administratif ainsi que des facilités procédurales et financières héritées du « décret défense ».
Première conséquence du nouveau cadre, l’harmonisation de la règlementation à l’échelle de l’UE et la transparence attendue sur l’application des procédures de passation des marchés devraient conduire à des pratiques homogènes à même de répondre aux exigences d’égalité de traitement des soumissionnaires au sein de l’Union et faciliter l’accès au marché d’autres États membres. La jurisprudence qui concernait principalement des recours abusifs à l’article 346 du TFUE (ex-article 296 TCE) portés devant la CJCE, s’étendra désormais aux recours et litiges liés à la mise en œuvre du cadre légal et réglementaire national des MPDS qui seront instruits, en ce qui concerne la France, par la juridiction administrative. Le fait que le recours à l’article 346 découle maintenant de l’application de cas d’exemptions prévus par le cadre juridique national donne compétence à la juridiction nationale pour instruire en première instance les litiges éventuels[12]. Quoiqu’il en soit, la distorsion qui découlerait des différentes transpositions nationales de la directive MPDS ou de la lecture qui en serait faite par les différentes juridictions nationales sera compensée en partie par la possibilité offerte au requérant de porter l’affaire devant la CJCE – éventuellement via la Commission – ainsi que par les aménagements ultérieurs susceptibles d’être apportés par la Commission à la Directive 2009/81. D’après le Rapporteur général Simon VAN DRIEL, de l’Assemblée de l’OTAN, "Ces nouvelles règles ne mettront pas un terme à la pratique [des exemptions], mais fourniront un certain recours aux entreprises qui considèrent que la politique prend le pas sur une saine stratégie d’acquisition de matériel militaire."[13].
L’instauration des principes du marché intérieur dans le domaine des MPDS aura pour sa part des conséquences difficiles à appréhender. En effet, l’utilisation du régime dérogatoire de l’article 346 TFUE varie en proportions d’un Etat membre à l’autre sans que les recommandations de la Commission ou la jurisprudence de la CJCE n’aient permis d’établir un optimum. Qui plus est, l’attractivité du nouveau cadre des MPDS en matière de sécurité et de souplesse est difficile à évaluer, tout comme la proportion de marchés que les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices consentiront à passer en procédure adaptée parce qu’ils estimeront que leurs intérêts essentiels ne sont pas menacés. Dans le cas de la France, plusieurs éléments conduisent à penser que le régime dérogatoire pourrait connaître une érosion sensible au profit du régime MPDS :
-         l’engagement précoce de notre pays dans l’application d’un code des marchés publics conforme aux directives européennes ;
-         la publication du « décret défense » dès janvier 2004, qui encadrait les conditions d’application des procédures dérogatoires avant même que le livre vert de la Commission ou le code de conduite de l’AED ne soient diffusés ;
-         le fait que le projet de directive MPDS ait été élaboré sous la présidence française du Conseil, au second semestre 2008.
Il convient également de souligner que la «procédure négociée » offre désormais toute la souplesse requise par la passation de marchés complexes, parce qu’elle permet de négocier avec les soumissionnaires l’adaptation des offres aux besoins exprimés dans l’avis de marché. Les dispositions spécifiques relatives à la sécurité d’approvisionnement et à la sécurité de l’information sont par ailleurs adaptées à la sensibilité des MPDS. Les procédures adaptées auront donc pour conséquence de rendre la passation des marchés plus efficace et plus sûre en réduisant les coûts de transactions, les aléas techniques et financiers et en améliorant la sécurité juridique des contrats.
Toutefois, des écueils potentiels ont d’ores et déjà été identifiés comme par exemple l’absence de régime commun homogène permettant de délivrer des agréments en matière de capacité à assurer la sécurité de l’information. En effet, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sont légalement tenus de n’attribuer les contrats sensibles qu’à des prestataires offrant des garanties suffisantes en matière de protection des informations classifiées. L’absence d’un tel régime constitue un handicap pour certains prestataires européens.
Le nouveau cadre juridique ne prouvera son efficacité que s’il est mis en œuvre de façon équilibrée en préservant une BITDE sans pour autant porter atteinte aux intérêts essentiels des États membres. C’est une entreprise particulièrement difficile pour les secteurs de la défense et de la sécurité qui évoluaient jusqu’à présent en marge du marché intérieur. Les acteurs concernés devront donc passer par une période d’apprentissage et d’adaptation. Même si certains États membres affichent déjà leur volonté de continuer à utiliser les exemptions pour protéger leur propre industrie de défense, le nouveau cadre légal et réglementaire offre l’opportunité d’utiliser le « véhicule normatif » européen pour sélectionner les meilleures entreprises et assainir le marché. Une limitation progressive de l’utilisation des exemptions accompagnée d’une appropriation des outils du « paquet défense » déclinés au plan national est de nature à promouvoir les bonnes pratiques à l’échelle européenne.

B.   Quelle stratégie pour notre industrie de défense ?

Alors que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices disposent des moyens d’effectuer une sélection plus stricte parmi les soumissionnaires, une  pression plus forte de la concurrence risque de mettre en péril les secteurs les plus exposés à l’international. L’industrie ne pourra s’adapter efficacement à ce nouveau contexte si elle ne dispose pas de suffisamment de visibilité sur les besoins des États à moyen et long terme. Il appartient aux industriels français d’opérer les rapprochements et optimisations leur permettant de renforcer leur masse critique et de se recentrer sur les métiers pour lesquels ils sont les plus compétitifs. Une fois renforcés au plan national puis européen, ils pourront mieux affronter la concurrence extra-européenne.

1)     Un impact économique probablement limité

Au plan économique, les conséquences de la transposition du décret MPDS peuvent être appréhendées en regard de la part d’activité qu’elles sont susceptibles de concerner.  Nous avons vu en II.C.2) qu’en 2009, la part d’activité « export UE » de nos entreprises avoisinait 3% de leur activité totale alors qu’elles consacraient 68% de leur activité au marché national et 29% au « grand export ». Les marchés « grand export » étant passés de gré à gré avec des Etats extérieurs à l’Union européenne, ils ne relèvent pas du nouveau cadre réglementaire. Toutefois, la possible érosion du recours à l’article 296 TFUE est susceptible d’occasionner une diminution du volume de MPDS passés par l’Etat avec les entreprises nationales. Si on compare la proportion importante de marchés passés en France selon la procédure dérogatoire de l’article 296 (environ 80% du volume) à la proportion plus équilibrée observée au Royaume-Uni, pays dont le marché de défense est très ouvert (environ 55% du volume), on peut estimer que notre pays pourrait tendre vers une telle valeur dans le nouvel environnement juridique des MPDS, sachant que la part des « intérêts essentiels » de chacun des deux pays, même si elle diffère sur certains domaines, peut être considérée comme équivalente. Cela se traduirait par une augmentation des MPDS français passés selon les procédures adaptées sans pour autant induire une perte de ces marchés par nos opérateurs économiques nationaux. Notons que les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices des autres États membres de l’Union européenne seront soumis au même cadre juridique et qu’ils seront donc également amenés à ouvrir une partie de leurs MPDS à la concurrence. Même s’ils n’adhèrent pas tous à la notion de « préférence européenne », ardemment défendue par la France, leurs marchés ne devront pas moins répondre aux critères de transparence et d’égalité de traitement prévus par la directive.
Quoiqu’il en soit, il est peu probable que notre industrie de défense et de sécurité bénéficie d’un volume de contrats européens équivalent à la part des MPDS qu’il ouvrira à ses partenaires : nombre d’États membres ont établi des relations commerciales privilégiées hors d’Europe, notamment avec les États-Unis, qu’ils n’entendent pas remettre en cause et que le nouveau cadre ne leur interdira pas de pérenniser.
En ce qui concerne les PME françaises, les nouvelles dispositions relatives à la sous-traitance devraient avoir pour effet de limiter la pratique des compensations (« offsets ») par les Etats-membres pour les MPDS passés au sein de l’Union. On observera au passage que les pays d’Europe centrale et orientale sont les plus demandeurs d’offsets dont la pratique est tirée vers le haut par le Brésil, la Russie ou la Chine qui ont des besoins importants en matière de transferts de technologies. Si l’industrie française de l’armement reste tributaire des exigences des clients « grand export » en matière d’offsets et qu’elle aligne ses pratiques sur celles des concurrents pour ne pas perdre de contrats, elle en subit toutefois les effets au sein de l’UE, ce qui tendrait à expliquer en partie la faible part d’activité de notre industrie de défense consacrée au marché intérieur. Sur ce dernier point, il conviendra d’observer la manière dont les mesures optionnelles de la directive MPDS relatives à la sous-traitance sont transposées par les Etats-membres, mais le nouveau cadre n’empêchera pas la France de continuer à lutter contre la pratique des offsets au plan intra-européen.
En termes de concurrence, l’ouverture du marché est susceptible de mettre en difficulté les entreprises économiquement fragiles qui n’opèrent pas dans les secteurs de souveraineté comme le nucléaire militaire, le chiffre ou l’optronique, alors que les poids lourds du secteur et les PME spécialisées devraient conforter leur position.
Malgré un contexte national de désindustrialisation et le resserrement du budget de la défense, la balance commerciale du secteur de l’armement est globalement positive, ce qui tend à prouver qu’une ouverture contrôlée du marché n’est pas de nature à mettre en difficulté une industrie qui a procédé aux restructurations nécessaires à sa modernisation et dont les entreprises présentent un bon niveau de compétitivité. 
Au bilan, les dispositions spécifiques prises en France dans le cadre de la transposition de la directive MPDS sont de nature à atténuer la portée de la situation d’asymétrie qu’elle est susceptible d’induire par rapport aux concurrents non européens (BRICS, États-Unis...). Il conviendra toutefois de demeurer vigilant sur la concurrence des entreprises transatlantiques qui présente un risque potentiel pour notre industrie de défense : il s'agit d'établir une préférence européenne en vue d'une ouverture contrôlée de ce secteur au sein du marché intérieur.

2)     Des possibilités d’optimisation demeurent

Dans une étude de février 2010 sur la compétitivité du secteur européen de la défense commanditée par la Commission européenne[14], le groupe Ecorys procédait à une analyse des forces et faiblesses des différents secteurs de l’armement.
Le secteur européen des armements terrestres qui dispose de capacités de production significatives dans les domaines des chars et des véhicules blindés, a fait l’objet de prises de contrôle étrangères. L’étude souligne qu’il y a peu de programmes en collaboration[15] dans ce secteur, de faibles investissements en R&D, une moindre productivité, une faible compétitivité et une complexité des chaines de soutien. Les capacités industrielles sont concentrées sur trois pays – la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – avec plus de firmes qu’aux États-Unis : quatre fabricants européens de chars contre un seul outre-Atlantique. En France, le secteur du matériel terrestre sera le plus exposé à une ouverture du marché car les Allemands sont très performants alors que NEXTER reste cher[16] - la branche « mobilité terrestre », qui correspond à un marché étroit, a déjà fait les frais de la concurrence étrangère. De plus, la diminution escomptée du nombre de marchés négociés sans procédure de mise en concurrence risque d’avoir un impact plus marqué dans le domaine des matériels terrestres : un produit comme le Félin serait ouvert à la concurrence européenne.
Le secteur naval dispose avec les firmes françaises et britanniques de capacités complètes de production de bâtiments modernes (porte-avions, sous-marins nucléaires, frégates, destroyers…) et les firmes européennes sont dans le groupe de tête des producteurs de bâtiments de guerre (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne). Bien qu’il ait été procédé à des restructurations industrielles et que le secteur soit compétitif à l’export, le marché est fragmenté avec de  nombreuses PME  et des surcapacités : il existe douze producteurs majeurs européens contre seulement deux aux États-Unis. Comme pour le secteur des armements terrestres, il existe peu de programmes en collaboration européenne[17], des duplications, l’absence d’économies d’échelle en raison de séries courtes et un saupoudrage des efforts de R&D. Pour sa part, le secteur des sous-marins nucléaires constitue une base industrielle coûteuse pour la France comme pour le Royaume-Uni avec un client unique et de petites séries. Au bilan, le secteur souffre d’un manque d’efficience (dépassements des coûts et des délais), d’un manque de compétitivité avec des besoins essentiellement nationaux et d’un manque de coopération (rivalité à l’export entre européens). A noter que le marché export est limité pour les bâtiments de guerre les plus modernes car leur coût élevé conduit les demandeurs à préférer une réalisation nationale.
Plus dynamique, le secteur aérospatial constitue une industrie stratégique au plan économique qui se caractérise par des coûts décroissants, une forte intensité de R&D et des retombées en matière de hautes-technologies. C’est un secteur en pointe au plan mondial, à même de générer des technologies de rupture, de fournir des systèmes complexes et de contribuer à la souveraineté des Etats. Le secteur aérospatial européen propose une gamme complète d’avions de combat, d’entraînement, d’hélicoptères, de missiles, d’avions de transport stratégique et de ravitailleurs. Il fait l’objet de nombreux programmes en coopération qui ont donné naissance à des champions européens (Airbus, MBDA, Eurocopter et ESA) avec un partage des coûts de R&D et une mise en commun des besoins (A400M, hélicoptère TIGRE, missile Meteor…). Par ailleurs, un partage entre activités civiles et activités militaires a permis de réduire la dépendance aux marchés de défense alors qu’une internationalisation croissante permet de rechercher des opportunités outre-Atlantique et en Asie. Toutefois, il existe encore trop de petites entreprises et des opportunités de regroupements à exploiter, c’est pourquoi on observe un manque d’efficacité comparativement aux firmes des États-Unis. Des progrès sont également possibles en matière d’efficacité de la collaboration européenne qui souffre de lourdeurs liées à la bureaucratie, au partage du travail, aux coûts et aux délais. On observe également une surcapacité dans ce secteur avec six fabricants européens d’avions de combat contre seulement trois aux États-Unis, avec des firmes comme Dassault ou BAE Systems dont la stratégie de développement – nationale pour l’une, transatlantique pour l’autre - ne les porte pas forcément à s’étendre en Europe. Enfin, on observe des lacunes dans les domaines des bombardiers stratégiques, des missiles balistiques intercontinentaux et des systèmes anti-missiles balistiques. A la différence de l'industrie terrestre, l'aéronautique française ne devrait pas subir les effets du nouveau cadre légal et réglementaire. Les grands programmes lient leur destin aux choix gouvernementaux en matière de politique industrielle nationale. Aussi, la question de l'origine de l'entreprise se posera dès le début du processus et elle guidera le choix du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice qui veillera à préserver l’intérêt national par le choix d’un régime d’exclusion, de mesures dérogatoires ou de critères de sélection appropriés. Au titre des exclusions, on notera que les programmes menés en coopération internationale échapperont aux effets du nouveau cadre des MPDS, comme par exemple la coopération récente entre Dassault et BAE Systems dans le domaine des drones.

3)     Une politique industrielle ouverte sur l’Europe

Dans son allocution à la XIXe Conférence des Ambassadeurs[18], le Président de la République a rappelé qu’ « il n’y aura pas de défense digne de ce nom en Europe sans des capacités militaires robustes et de vraies politiques industrielles et technologiques ».
A cet effet, notre pays soutient le processus de regroupement des industries européennes de défense et mène dans ce domaine une politique industrielle active. La règlementation adoptée par la France s’appuie notamment sur le considérant 18 de la directive et permet d’exercer, sans la nommer, une « préférence européenne » à même de contribuer à la construction de la BITDE[19]. Même si des réticences sont à prévoir outre-Atlantique sur cette posture, il conviendra surtout de surveiller l’évolution  du marché et de l’industrie. Au plan national, on devra sans doute cerner de façon plus stricte le périmètre de ce qui relève ou non de nos « intérêts essentiels de sécurité » sans pour autant renoncer à exercer notre compétitivité sur les domaines traditionnels d’excellence de nos industries (secteur aérospatial, dissuasion, NRBC[20], cryptographie, optronique…).Toutefois, à l’échelle européenne, le marché export demeure étroit et certains programmes verrouillent le secteur sur le long terme. En matière d’avions de chasse par exemple, les pays partenaires du programme JSF se sont engagés dans la durée sur une coopération transatlantique qui ne semble pas de nature à profiter à l’industrie européenne, sinon à la marge, avec des taux d’implication qui ne laissent à certains qu’une faible marge de manœuvre, voire aucune pour les Pays-Bas. Le choix de l’Eurofighter par nos principaux partenaires n’a pas permis à Dassault de tirer son épingle du jeu et écarte l’avionneur des marchés européens. Les effets économiques de la nouvelle réglementation ne pourront donc s’observer qu’à moyen ou long terme et les initiatives intergouvernementales seront certainement plus déterminantes dans ce domaine.
La France investit également de manière soutenue dans la coopération en matière de R&T de défense selon une stratégie à long terme visant à s’affranchir de l’hétérogénéité des échéanciers capacitaires internationaux. Pour ce qui concerne les « technologies-clé », la DGA met en œuvre une démarche dont l’objectif est de déterminer le niveau de maîtrise nécessaire au plan national ou au plan européen ainsi que les interdépendances acceptables en Europe, afin de mener une coopération efficace et d’échapper à une dépendance vis-à-vis des États-Unis. Aussi, même si notre pays maintient des relations bilatérales de R&T avec ses principaux partenaires européens (Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Norvège et Pays-Bas), il transfère de nombreux projets vers l’AED dans le but de fédérer les efforts à l’échelle européenne. Cette démarche, si elle est suivie par nos partenaires, est de nature à fédérer et à consolider la demande. On notera cependant que le Royaume-Uni demeure réticent à s’engager dans l’AED et lui préfère les initiatives bilatérales dont les modalités contractuelles continueront à échapper au cadre réglementaire de l’Union puisqu’elles permettent  de s’affranchir des MPDS.
La politique d'acquisition du ministère de la défense[21] repose sur deux objectifs complémentaires : optimiser l'efficacité économique des investissements de défense pour répondre aux besoins des forces armées et garantir sur le long terme un accès aux capacités industrielles et technologiques nécessaires. Cette politique impose des investissements considérables qu’un Etat ne peut plus financer à lui seul, c’est pourquoi notre politique d'acquisition répond au principe de l’ « autonomie compétitive » : certaines activités relèvent du domaine de la souveraineté nationale alors qu’une dépendance mutuelle est acceptée pour les activités moins spécifiques ou non essentielles. Le nouveau cadre légal et réglementaire est tout à fait adapté à la mise en œuvre de cette politique puisqu’il permet d’harmoniser les règles d’acquisitions au plan européen, il permet de prendre en compte la sécurité des approvisionnements et il a vocation à rendre la BITD plus compétitive. Toutefois, ce mouvement devra se traduire côté industriel par une restructuration de l’offre libre de toute arrière-pensée nationale, sans quoi l’objectif de la défragmentation de la BITDE ne sera pas atteint.

C.   Une coopération nécessaire

Au plan national, des engagements matérialisés par une planification réaliste cohérente avec une vision prospective à plus long terme permettra aux grands groupes dans lesquels l’État détient des intérêts à se préparer à répondre avec succès aux appels d’offres publiés. A l’échelle européenne, l’AED jouera un rôle clé dans le recensement des besoins communs à plusieurs États membres et l’établissement d’une dynamique propre à entretenir la confiance entre adjudicateurs et soumissionnaires. La Directive n’écarte pas pour autant les possibilités de programmes menés dans le cadre d’une collaboration entre États, même au-delà du cercle européen et éventuellement sous l’égide de l’OCCAR – l’émergence fin 2010 d’un accord Franco-Britannique en matière d’équipements de défense ouvre la perspective d’un partenariat susceptible de fédérer les initiatives. 

1)    Optimisation de l’offre et harmonisation de la demande

Hélène Masson estimait dans une étude de 2008 sur l’Europe de l’armement[22] qu’en attendant la transposition du « paquet défense » et sa mise en pratique en droit national, « la croissance du processus d’internationalisation des activités des industries de défense européennes, en particulier hors UE, la baisse des budgets de défense des États membres et l’implication de la Commission européenne dans le domaine de la sécurité, devraient rendre intenable toute position encore favorable à une politique européenne de l’armement a minima ».
En effet, les restructurations du secteur de la défense survenues depuis la fin des années 90 n’ont pas été au bout des logiques d’optimisation qui étaient censées les animer et elles n’ont pas permis de faire des choix « supranationaux » de suppression des doublons ou de répartition des organes de management, des équipes de R&D ou des chaines de production. Même les coopérations européennes dont le principal objectif n’est pas la réduction des coûts mais la stimulation du secteur et la création de synergies, ne donnent pas forcément naissance à des partenariats efficients. Jusqu’ici, les intérêts des Etats ont constitué un frein aux tentatives de spécialisation industrielle ou de création de pôles d'excellence au niveau européen. Pourtant, ces cinq dernières années ont montré une évolution avec des prises de participation qui visant à atteindre une taille critique et à rechercher une plus grande efficacité économique. La fin de l’Etat actionnaire et client unique a sonné le glas des priorités données au soutien économique et à l’aménagement du territoire. Désormais, il s’agit  d'optimiser l’organisation industrielle et les ressources consacrées à la R&D ainsi que d'augmenter la gamme des produits proposés à l’export. Ce mouvement répond à une puissante logique industrielle et financière dont l’objectif est d’améliorer la compétitivité et de compléter l'offre pour accéder à un marché plus large, d’abord européen puis vers le grand export. Ces ambitions industrielles et les rationalisations qu’elles nécessitent sont désormais soutenues par la politique d'harmonisation et de transparence des MPDS menée par l’Union européenne et déclinée en droit national par l’ensemble des États membres.
L’AED a été créée en 2004 pour évaluer les besoins communs aux États membres en matière de capacités militaires pour les opérations à mener dans le cadre de la PESD[23]. La stratégie adoptée repose sur une harmonisation de la demande au plan européen et la convergence des efforts entre le secteur de la défense et celui de la sécurité – on parle désormais d’une politique de sécurité et de défense commune. Les travaux de l’AED ont abouti à l’élaboration d’un Plan de développement des capacités (PDC) visant à combler les lacunes identifiées en regard des missions de la PSDC et à partir duquel les États membres peuvent participer à des projets en coopération. Le principal grief auquel cette démarche a à faire face est son périmètre, restreint au « soft power » de la PSDC, qui laisse aux principaux Etats contributeurs la charge des capacités nécessaires à la dissuasion ou aux missions coercitives. Cette situation est de nature à favoriser les coopérations directes entre Etats dans des domaines susceptibles d’échapper à l’AED soit par leur caractère sensible, soit parce qu’ils ne figurent pas au catalogue.
Actuellement, les Etats ne lancent pas beaucoup de nouveaux programmes en coopération : sur les 50 milliards d'euros d'investissements annuels des pays européens en matière d'armements, le montant des programmes réalisés en coopération s'élève à 9 milliards d'euros, dont 3 milliards sont gérés par l’OCCAr[24]. D’après le directeur de l’OCCAr, cette proportion devrait augmenter avec la contraction des budgets de défense, car l'organisation permet de réduire les duplications et assure une meilleure rationalisation industrielle et opérationnelle.
Dans ce contexte et conformément au principe d’ « autonomie compétitive » qui guide la politique d’acquisition du ministère de la défense, la France ne pourra consentir à investir à l’échelle européenne que ce qui ne relève pas d’une part de ses intérêts essentiels et d’autre part de son marché grand export. Toutefois, cet investissement sera conditionné par l’assurance d’obtenir de réelles économies et une convergence sur des objectifs stratégiques et industriels communs, c’est pourquoi les coopérations bilatérales présentent un intérêt particulier. Ce type de partenariat n’est pas incompatible avec le recours à l’AED et à l’OCCAr et il peut éventuellement être élargi à des coopérations multilatérales. Au plan règlementaire, les accords-cadres et marchés passés dans le cadre d’un programme de coopération mené entre États membres est seulement soumis à une notification de l’arrangement à la Commission européenne (Art. 180 du décret 2011-1104).
A propos des perspectives de coopération entre Etats-membres, on observe qu’alors que la frégate FREMM est en cours d’essais à la mer, la France et l'Italie ont récemment confié à l'OCCAr le programme satellitaire d’imagerie Musis. Le partenariat traditionnel entre Paris et Berlin a connu pour sa part un recul imputable à des divergences de vues et d’intérêts en matière de stratégie européenne et de capacités – c’est ainsi que l’Allemagne a lancé à Gand avec la Suède une initiative séparée sur la coopération militaire en Europe. A l’inverse, la proximité en matière de défense entre la France et le Royaume-Uni sur les questions de stratégie, de moyens et de budget rendait une coopération inévitable. Le High Level Working Group (HLWG), créé en 2006, a permis de favoriser un rapprochement en réunissant des responsables de haut-niveau de l’industrie et des ministères de la défense.
Selon le député Yves Fromion[25], « L’objectif de constitution, à terme, d’une industrie à dimension véritablement européenne ne doit pas occulter la place essentielle du dialogue bilatéral en matière de coopération d’armement pour progresser à deux autour de points de convergence d’intérêts identifiés, ou pour préparer des initiatives multilatérales. »


2)    Un partenariat Franco-britannique

Lors du sommet franco-britannique du 2 novembre 2010, à Londres, nos deux pays ont signé à Lancaster House un traité destiné à consolider la coopération bilatérale dans les domaines de la défense et de la sécurité : il s’agit d’une démarche pragmatique de mutualisation de moyens et de compétences rendue nécessaire par un contexte budgétaire contraint. Le traité identifie six domaines de coopération dont trois intéressent directement la BITD et l’équipement des forces : les ressources capacitaires, la R&T et la rationalisation industrielle. L’objectif du traité est notamment d’optimiser les capacités et de rentabiliser l’investissement de défense. Au plan des projets structurants découlant du traité, on citera par exemple un plan de soutien commun aux futures flottes d’avions de transport A400M, la conception de la future génération de drones de surveillance MALE[26], un projet de missile aérien de courte portée et une étude sur le potentiel de coopération en matière de télécommunications militaires par satellite.
A la différence des précédentes démarches de coopération menées au titre d’un programme unique, les effets du traité de Lancaster House devraient être plus structurants sur le long terme. Inspiré de la politique industrielle britannique, il a vocation à donner plus de visibilité aux industriels sur l’orientation des besoins. Le traité doit également offrir des garanties sur l’acceptation d'éventuelles dépendances mutuelles au plan des capacités  industrielles en écartant le risque de veto politique potentiel, laissant une marge d’initiative aux firmes qui peuvent ainsi s’organiser en vue de faire face à la demande. Ce modèle de coopération permet d'agir dans la transparence, de concentrer et de rendre plus efficace l’outil industriel, ce qui correspond à l’esprit de la directive MPDS.
L’initiative « one MBDA » est emblématique des mesures prises dans le cadre du traité : son ambition est d’aboutir à une industrie unique et souveraine au service d’un client unique franco-britannique. Selon Olivier Martin, secrétaire général de MBDA[27], la volonté politique est essentielle dans cette stratégie qui repose sur un plan décennal avec un maître d’œuvre industriel européen unique. Elle servira de test pour des initiatives dans d’autres secteurs.
Cette démarche s’est imposée naturellement aux deux Etats qui représentent à eux seuls la moitié des budgets et les deux tiers de la recherche de défense au sein de l’UE. Elle doit permettre de parachever la consolidation industrielle transnationale des grands groupes comme MBDA. Les PME technologiques sont pour leur part à l’abri de la concurrence internationale car elles bénéficient des budgets de recherche évoqués supra ainsi que d’une expérience de longue durée au service des grands groupes du secteur. Toutefois, la France est attachée à la sécurité de ses approvisionnements et à son autonomie stratégique, alors que le Royaume-Uni prône l'ouverture des marchés à la concurrence internationale et s'oppose à toute idée de « préférence européenne », eu égard à l'importance de sa coopération avec les États-Unis. De plus, à la différence des français qui investissent dans la recherche au sein de l’AED, les britanniques demeurent réticents. Si le contexte actuel les rapproche, il n’est pas impossible qu’une amélioration de la situation économique ou qu’une évolution du lien transatlantique ne vienne troubler leur partenariat. 
Selon Edgar Buckley, du HLWG franco-britannique, cette initiative est compatible avec les initiatives de la Commission européenne en matière de soutien des technologies critiques et de consolidation industrielles, c’est pourquoi elle devrait encourager la démarche qui contribuera à renforcer la BITDE. Il estime que nous sommes à un tournant, un « new age of pragmatism » et que si le nouveau cadre du « paquet défense » est utile, il sera appliqué[28].
Au bilan, le traité franco-britannique constitue un signal fort vers nos partenaires européens : les deux pays se sont donné les moyens de renforcer leur coopération en marge des structures communautaires. Pour leur part, les autres gouvernements devront apporter la preuve qu'ils souhaitent atteindre les objectifs fixés en décembre 2008 en matière de capacités de défense et de sécurité. Si les deux principaux contributeurs à l’effort de défense et de sécurité européen ne sont pas suivis, les conséquences pour l’exécution des missions de l’Union seront catastrophiques car les autres États membres ne pourront pas assumer d’opérations d’ampleur. Une telle situation consacrerait l'échec de la PSDC.


[1] COM (2004) 608, 23 septembre 2004.
[2] COM (2005) 626, 6 décembre 2005.
[3] COM(2006) 779 final du 7.12.2006.
[4] Arrêt du 3 mai 1994, aff. C-328/92 Commission c. Espagne, point 15.
[5] Ibid, point 16.
[6] Arrêt du 16 septembre 1999, aff. C-414/97 Commission c. Espagne, point 21.
[7] Ibid, point 22.
[8] Arrêt du 30 septembre 2003, aff. T-26/01 Fiocchi Munizioni c. Commission, point 61.
[9] Arrêt du 26 octobre 1999, aff. C-273/97 Sirdar, points 15-16; arrêt du 11 janvier 2000, aff. 285/98 Kreil, point 16; arrêt du 11 mars 2003, aff. 186/01 Dory, points 30-31.
[10] Arrêt du 8 avril 2008, aff. C-337/05 Commission c. République italienne, point 47.
[11] Cf. tableau Evolution du cadre juridique en annexe B.
[12] Les recours peuvent être pré-contractuels (ils émanent d'un candidat écarté) ou de plein contentieux (en cours d'exécution du contrat). Les recours pré-contractuels vers les juridictions administratives nationales (France) sont de l'ordre de cinq à huit par an : ils sont généralement rejetés car en droit français, le requérant doit démontrer qu'il y a eu préjudice.
[13] VAN DRIEL Simon, Les implications économiques et sécuritaires de la consolidation budgétaire dans un environnement budgétaire difficile, Projet de rapport général, in NATO Parlamentary Assembly, 2011 Session de printemps. Disponible sur http://www.nato-pa.int/.
[14] ECORYS SCS Group. FWC Sector Competitiveness Studies - Study on the Impact of Emerging Defence Markets and Competitors on the Competitiveness of the European Defence Sector [en ligne]. Rotterdam, 2010, 309p. Disponible sur http://ec.europa.eu/, p.38-40.
[15] A signaler toutefois que le français NEXTER a développé une joint venture (50/50) avec BAE Land Systems baptisée « CTA International » et basée en France.
[16] Jeudi 05 mai 2011 - Entretien avec Mr Bernard PIEKARSKI, Chef de la division politique achat, méthodes, contentieux DGA – Service centralisé des achats.
[17] On citera le programme de Frégate multi-missions FREMM entre la France et l’Italie.
[18] Allocution du Président de la République à la XIXe Conférence des Ambassadeurs du 31 août 2011, p.3. Disponible sur www.diplomatie.gouv.fr/fr/article_imprim.php3?id_article=94920
[19] Décret no 2011-1104 du 14 septembre 2011 relatif à la passation et à l’exécution des marchés publics de défense ou de sécurité, Articles 215, 218, 232 et 252.
[20] Nucléaire, Radiologique, Bactériologique et Chimique.
[21] Rapport sur l’acquisition d’équipements de défense en Europe, op. cit., §14.
[22] MASSON Hélène, Union européenne et Armement - Des dispositions du traité de Lisbonne aux propositions de directive de la Commission européenne, in Fondation pour la Recherche Stratégique, Recherches & Documents, n° 9/2008, p41. Disponible sur http://www.frstrategie.org
[23] Politique Européenne de Sécurité et de Défense, désormais Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC).
[24]BELLOUARD Patrick, "La contraction des budgets de défense va relancer les coopérations", propos recueillis par Michel Cabirol, Source : La Tribune.fr - 06/06/2011.
[25] FROMION Yves, Les moyens de développer et de structurer une industrie européenne de défense, Rapport du 30 juin 2008, p. 28. Disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr
[26] Moyenne Altitude, Longue Endurance.
[27] Propos recueillis lors du séminaire Eurodéfense relatif aux « Conséquences des actions communautaires sur le MEED et la BITDE – Impact des initiatives bilatérales » tenu le 6 mai 2011 à Paris.
[28] Ibid.

dimanche 18 novembre 2012

LBDSN et MDS (IV)


IV. TRANSPO- SITIONS DE LA DIRECTIVE MDS.

Le « paquet défense » est issu d’une initiative de la Commission européenne. Elle exerce ici ses prérogatives dans un domaine sensible qui se heurte aux intérêts et à la souveraineté des États-membres. La manière dont chaque pays perçoit la directive en fonction de ses intérêts propres met en évidence les travers qu’elle ne manquera pas de susciter. Côté français, même si des avancées ont été obtenues en matière de protection du marché intérieur, la proposition de « préférence européenne » n’a pas été retenue par nos partenaires. La transposition en droit interne permettra toutefois d’ajouter quelques verrous et de préciser les bonnes pratiques au plan national.

A.    Les acteurs en présence

Alors que la Commission exerce ici sa compétence dans un domaine où la souveraineté des états les porte plus naturellement vers des réflexes de protection sinon d’accords intergouvernementaux, la souveraineté de chaque État membre s’exprimera lors de la transposition en droit national par les parlements et les gouvernements. Pour leur part, les divers groupes d’influence européens ont pu s’exprimer à Bruxelles lors de l’élaboration du paquet défense, puis au plan national à l’occasion de la procédure de transposition.

1)    La Commission et les gouvernements

Organe exécutif, la Commission européenne est politiquement indépendante et chargée de promouvoir l’intérêt général de l’Union : contrairement aux chefs d’État et de gouvernement du Conseil européen ou aux ministres du Conseil de l'Union européenne, les commissaires ne représentent pas leur État d'origine. La Commission fonctionne selon le principe de la collégialité, autrement dit, les décisions y sont prises collectivement par le collège des commissaires et non par chaque commissaire individuellement. Investie d'un droit d'initiative dans le domaine législatif, elle soumet des propositions de loi au Conseil de l'Union et au Parlement européen. Ce droit d’initiative lui permet de décider des sujets qui doivent être inscrits à l’agenda, d’autant qu’un acte législatif de l'Union ne peut, selon la procédure normale, être adopté que sur proposition de la Commission. En revanche, elle doit suivre les orientations politiques fixées par le Conseil européen.
Alors que dans le cadre des politiques communes, le droit d’initiative de la Commission est exclusif - elle élabore les textes législatifs (directive et règlement) et les soumet à la délibération du Parlement et du Conseil en fonction des matières concernées - elle partage son droit d’initiative avec les États membres notamment dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune ou avec les États membres et la Banque centrale européenne dans le cadre de l'Union économique et monétaire.
En qualité de "gardienne des traités", la Commission veille également, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE), à l’application des traités, directives et règlements. A ce titre, elle peut saisir la CJUE de tout manquement observé par un des 27 États membres. La Commission s’assure en particulier de l'application des règles de concurrence et elle peut décider d’infliger des amendes aux agents économiques en infraction.
Dans ce cadre, l’Article 32 du TFUE stipule que la Commission doit s’inspirer « de la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux entre les États membres et les pays tiers », « de l'évolution des conditions de concurrence à l'intérieur de l'Union, dans la mesure où cette évolution aura pour effet d'accroître la force compétitive des entreprises », « des nécessités d'approvisionnement de l'Union en matières premières et demi-produits, tout en veillant à ne pas fausser entre les États membres les conditions de concurrence sur les produits finis » ainsi que « de la nécessité d'éviter des troubles sérieux dans la vie économique des États membres et d'assurer un développement rationnel de la production et une expansion de la consommation dans l'Union ». Ces éléments, confrontés aux exigences des intérêts essentiels des  États, sont au cœur de la réflexion qui a conduit à l’élaboration de la Directive 2009/81.
En ce qui concerne les gouvernements nationaux, ils sont représentés au sein du Conseil européen par les chefs d’État et de gouvernement et au Conseil de l’Union européenne par les ministres de chaque pays membre, l’ordre du jour définissant les ministères concernés.
Le Conseil européen et le Parlement partagent la responsabilité de la décision finale sur les projets d'actes législatifs proposés par la Commission. On notera au passage que le pouvoir d’orientation politique du Conseil européen permet d’anticiper en amont d’éventuelles divergences d’appréciation avec la Commission.
La procédure législative ordinaire (Article 294 TFUE) s’articule autour de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. La proposition élaborée par la Commission est transmise en première lecture au Parlement qui a la possibilité de proposer des amendements, puis au Conseil qui peut l’adopter en l’état ou demander une deuxième lecture à l’issue de laquelle une procédure de conciliation sera lancée si le Conseil n’adopte toujours pas le texte.
Dans le cas du « paquet défense », élaboré sous la présidence française de l’Union en 2009, il est intéressant de préciser le travail réalisé autour du Conseil. L’organisation comporte trois niveaux dont le premier comprend des groupes d’experts constitués spécialement en fonction du domaine abordé : ils discutent le projet article par article afin de dégager une position commune à 27. Le niveau immédiatement supérieur correspond au COREPER (COmité des REprésentants PERmanents) constitué des représentations permanentes menées par les ambassadeurs de chaque nation, dont le rôle est de préparer l’ordre du jour du Conseil des ministres avec des textes suffisamment aboutis. Enfin, le niveau supérieur est constitué par le Conseil des ministres où le ministre du pays qui préside l’Union fait adopter une position commune, le plus souvent à la majorité qualifiée, qui est ensuite transmise au Parlement puis à la Commission.
Dans le cadre du processus d’élaboration de la directive 2009/81, les relations entre la Commission et le Conseil se sont cristallisées autour de deux principaux écueils : la position idéologique de la Commission et les menaces d'une transposition maximaliste. En effet, la Commission estime qu’il ne peut pas y avoir d'exception aux mécanismes de marché, car toute exception ouvre la porte au protectionnisme et au mercantilisme. A ce premier écueil vient s’ajouter le risque d’une interprétation maximaliste lors des transpositions en droit national, par exemple en poussant plus loin la logique d’ouverture des marchés. On notera à ce propos que d’après un membre du groupe d’experts, lorsque le projet de directive a été discuté avec les États et les industriels, la Commission a joué sur les divergences en confrontant d’une part les 6 pays signataires de la LoI avec les nouveaux entrants dans l’Union et d’autre part la France avec la Grande Bretagne en agitant le tropisme transatlantique de cette dernière.
Une position commune a toutefois été trouvée à 27 et le Parlement européen a adopté le texte à une large majorité lors de la séance plénière du 14 janvier 2009 par 597 voix pour, 69 contre et 33 abstentions. Issu d’un compromis entre le Parlement et le Conseil, il constitue la seconde composante du « paquet défense » qui découle d’une proposition de la Commission de décembre 2007, discutée au Groupe de travail « marchés publics » du Conseil et à la Commission « Marché intérieur » du Parlement Européen. Les dispositions spécifiques concernant la sous-traitance et les recours ont été ajoutées au texte lors de la négociation. A la fin de la période de présidence française, le Conseil et le Parlement ont trouvé un compromis sur un texte final modifiant la proposition de la Commission qui a finalement été approuvé par le Conseil le 13 juillet 2009.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne s’est déroulée de juillet à décembre  2008. Elle s’est notamment caractérisée par la volonté de proposer des solutions pragmatiques pour augmenter les capacités civiles et militaires des États membres et permettre à l'Europe de mieux assumer ses responsabilités en matière militaire. Deux raisons ont été identifiées pour expliquer les carences de l'Europe de la défense : l'éparpillement et l'insuffisance des dépenses de défense en Europe. A ce titre, la France a soutenu la proposition de la Commission européenne de créer un véritable marché intérieur de la défense afin de favoriser la compétitivité et de renforcer la base industrielle et technologique européenne de défense.

2)    Le gouvernement et le parlement

En France, le ministre de la défense a présenté en Conseil des ministres du 27 octobre 2010 un projet de loi relatif aux deux directives du "paquet défense", TIC (Transferts intra communautaires) et MPDS (marchés publics de défense et de sécurité).
La transposition se fera principalement par décret c’est-à-dire qu’elle relèvera du domaine réglementaire, propre au pouvoir exécutif (Gouvernement) et sera traduite par une actualisation du Code des Marchés Publics. Le projet de loi (partie législative, propre au Parlement) ne concerne que le régime juridique spécifique à certaines personnes publiques tel qu'il est régi par l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises au code des marchés publics. Néanmoins cette partie est essentielle, car les dispositions les plus importantes serviront de modèle pour la partie réglementaire du code des marchés publics.
L'essentiel des modifications apportées par le Sénat à cette partie du texte concernait l'affirmation d'une clause de préférence communautaire souple. En effet, le projet de loi tel que déposé par le Gouvernement ne donnait qu'une interprétation modérée et ambiguë du considérant 18 (pouvoir d’écarter les candidats de certains pays tiers). Le principe retenu est que les appels d'offre français sont ouverts aux seuls opérateurs économiques européens et que ce n'est que par exception que les pouvoirs adjudicateurs peuvent ouvrir leurs offres à l'ensemble de la concurrence. Encore doivent-ils le faire en prenant en compte plusieurs éléments tels que les impératifs de sécurité d'information et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'Etat ou encore l'intérêt de développer la base industrielle et technologique de défense européenne. L'Assemblée nationale a souhaité ajouter à ces conditions la prise en compte de « l'obtention d'avantages mutuels ». La condition de localisation de l'offre sur le territoire européen a été complétée par  la prise en compte des considérations environnementales ou sociales dans la décision d'accepter ou de rejeter une offre.
Le texte a été déposé en première lecture au Sénat qui l’a amendé puis transmis à l’Assemblée nationale (« navette parlementaire ») avant d’être définitivement adopté en deuxième lecture par le Sénat le 22 juin 2011.
L’étude d’impact a estimé que les dispositions législatives modifiant l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises au code des marchés publics ne devraient avoir qu’un impact limité pour le ministère de la défense dont l’essentiel des marchés relève de la procédure dérogatoire prévue par l’article 346 TFUE. Cette partie du projet de loi a été significativement complétée par le Sénat qui a clairement introduit le principe de préférence communautaire et qui a donné aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices les moyens d’écarter les candidats qui ne disposeraient pas des capacités techniques suffisantes ou dont la fiabilité pourrait être mise en cause.
La Direction des affaires juridiques du ministère de la défense travaille actuellement sur la partie réglementaire de la transposition qui devrait prendre la forme d’un projet de décret attendu courant août. Un responsable des achats de la DGA indiquait courant mai que les travaux réglementaires voient s’affronter deux logiques : une logique d’acheteurs  pragmatiques qui cherchent à concilier au quotidien les intérêts essentiels de l’Etat ou sa politique industrielle avec des pratiques respectueuses du cadre réglementaire et une logique de juristes qui tirent les leçons de la jurisprudence européenne et nationale pour élaborer des codes à même d’assurer un niveau de sécurité juridique acceptable. Entre le boulevard Saint Germain (Ministère de la défense et des anciens combattants) et Bercy (Ministère de l’économie et des finances) en passant par Bagneux et Balard (DGA), l’objectif est donc de trouver le meilleur compromis qui permette de converger vers un cadre réglementaire national qui permette à la France de préserver ses intérêts tout en participant au renforcement de la BITDE et sans trop prêter le flanc à des procédures de recours.

3)    Les industriels français

Les industriels français du secteur de la défense disposent de leur propre organisation professionnelle, le CIDEF (Conseil des Industries de Défense Françaises) qui représente différents groupes professionnels : le GIFAS (Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales), le GEAD (Groupe des équipementiers aéronautique et de défense), le GICAN (Groupement Industriel des Constructions et Armements Navals) et le GICAT (Groupement des Industries Concernées par les Matériels de Défense Terrestre). Le CIDEF étudie les questions communes aux industries de défense françaises dans leur environnement national - il représente ses adhérents auprès des autorités compétentes françaises – ainsi que dans leur environnement européen où il s’investit notamment par des actions de lobbying. Le CIDEF est intervenu dès l’origine de l’élaboration de la directive 2009/81, tant à Bruxelles qu’à Paris où ses représentants ont notamment été auditionnés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par Monsieur Josselin de ROHAN[1].
Lors de leur audition au Sénat, les représentants du CIDEF ont notamment souligné que le champ d'application de l'article 346 TFUE ne devait pas être trop réduit afin de ne pas risquer d'entamer la souveraineté des États et de réduire la capacité de nos industriels à affronter la concurrence internationale et en particulier celle des États-Unis. En ce qui concerne le périmètre de l'article, les industriels ne jugent pas souhaitable qu'une liste trop précise soit établie car il s’agit de technologies évolutives et en délimiter le champ serait contraignant voire périlleux. Dans la même logique, ils ne souhaitent pas non plus que les domaines évoqués pour le « premier cercle » dans le Livre blanc soient considérés comme constituant le périmètre de l'article 346 TFUE.
M. Eric Trappier, président de la commission européenne du CIDEF, a expliqué les différents intérêts qui s’opposent dans le contexte actuel entre différentes catégories d'industriels de taille et de position variées (grands groupes, équipementiers, PME, maîtres d'œuvre, fournisseurs) et entre des États membres dont les politiques d'acquisition différent sensiblement s’ils possèdent ou non une industrie de défense.
Dans le cadre du processus d’élaboration de la directive, l'action des professionnels a permis notamment d'introduire le considérant 18 qui offre une référence juridique en rappelant que l'accès aux marchés de défense et de sécurité demeure dans le champ de la souveraineté des États membres : l'ouverture est une possibilité, non une obligation. Autre avancée, l'exclusion des marchés de recherche et technologie du champ de la directive permet de préserver la possibilité de mener une politique industrielle visant à développer et maintenir des compétences jugées critiques ou sensibles par les Etats. De même ont été obtenues la conservation de l'exclusion des marchés en coopération du champ de la directive, l'institution de la procédure négociée comme procédure de droit commun et enfin l'incitation à plus de transparence dans l'attribution des sous-contrats, afin de lutter contre les demandes de compensations (offsets). En revanche, d'autres demandes des industriels français n'ont pas abouti, comme la « préférence communautaire », la notion de réciprocité ou la prise en compte des contrats du type FMS (Foreign Military Sales -vente d'État à l'État) qui n'entrent pas dans le champ de la directive.
En ce qui concerne la transposition, les représentants du CIDEF insistent sur la nécessité que la loi permette d'appliquer toutes les « marges de manœuvre » offertes par la directive et qu'elle ne soit pas plus contraignante dans ses termes, car des transpositions différentes seraient de nature à induire des applications différentes sources de ruptures de concurrence.
Pour sa part, Monsieur Gilbert Font, président de la commission des affaires administratives du CIDEF, appelle l’attention des sénateurs sur  l'article 37-2 du projet de loi dont la rédaction est susceptible de mettre en difficulté les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices. Il estime que le projet de transposition ne permet pas à l'acheteur public qui ne souhaiterait pas ouvrir un marché donné aux opérateurs économiques de pays tiers d'éviter que ceux-ci y participent via la création de filiales en Europe ou d'accords industriels. En effet, des groupes dont la majeure partie des activités est située en dehors de l'Union pourraient créer des filiales immatriculées dans l'Union dans le seul but de bénéficier d'un accès facilité aux marchés de défense et de sécurité des États membres (entreprises « faux-nez »). Des sociétés implantées de longue date sur le territoire européen pourraient également chercher à développer une activité de défense en exploitant les connaissances technologiques de groupes industriels étrangers à l'Union afin de faire monter en gamme leur industrie.
Aussi, le CIDEF a proposé que la transcription de la directive s'appuie sur le principe de la préférence communautaire et sur la prise en compte des exigences de réciprocité. Il estime également impératif que le pouvoir adjudicateur puisse exiger qu'une société candidate soit capable de traiter sur le territoire de l'Union, l'ensemble du cycle de vie d'un produit, qu'elle ait des capacités techniques installées, prouvées, qu'elle puisse réagir à toute situation de crise. (article 42-1 h). Au bilan, les industriels de la défense demandent un alignement rigoureux de la loi sur la directive afin de limiter les risques de contentieux susceptibles de naître du rejet d'une candidature ou d'une offre par le client public. Leur position est ainsi résumée par Gilbert Font : « toute la directive mais seulement la directive ».
Au terme de l’audition au Sénat, Monsieur Didier Brugère, vice-président de la commission de la défense du CIDEF, estime que « si la directive est transposée de façon homogène dans tous les pays, elle ira dans le sens de la construction européenne ».

B.   Les positions nationales

Le Royaume-Uni est un pays de tradition libérale qui entretient des rapports privilégiés avec les États-Unis : le gouvernement britannique devrait donc accueillir favorablement cette initiative d’ouverture du marché de l’armement. Toutefois, le pays compte a priori utiliser l’article 346 du  TFUE pour protéger ses industriels, malgré le risque de se heurter à la CJUE. En ce qui concerne le lien transatlantique, il obère tout espoir de voire s’instaurer une notion de « préférence européenne ». Les allemands comme les britanniques n’appliqueront pas les mesures de recours en dessous des seuils de la Directive. Le dossier est piloté par le ministère allemand de l’économie mais le texte transposé sera distinct de ceux qui régissent les marchés civils. A la différence de l’Italie qui produira un décret, Espagne et Suède transposeront la Directive dans une loi spécifique. L’Italie n’exclut pas l’emploi de l’article 346 si la Directive ne la protège pas suffisamment alors que l’Espagne pourrait exiger des clauses de réciprocité avec les États tiers. Pour leur part, les MPDS suédois resteront probablement ouverts aux opérateurs non européens.

1)    Royaume-Uni

Les britanniques, toujours pragmatiques, préfèrent un système souple et évolutif. Jusqu’à présent, ils ont privilégié le recours à l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE).
La Section des affaires intérieures et de la défense de la Chambre des communes a publié en juin 2011 une étude relative à la transposition des directives du « paquet défense » en droit anglais qui en rappelle les principales dispositions et propose une synthèse de la position britannique sur le sujet[2].
Alors qu’il venait de lancer en 2005 sa « Defence Industrial Strategy », le gouvernement britannique estimait qu’une communication interprétative relative à la politique européenne d’acquisition d’armement suffirait à clarifier le cadre existant et en particulier l'utilisation de l'article 296. Il considérait toutefois que l’entrée en vigueur d’un « fardeau réglementaire supplémentaire » en plus du cadre existant ne semblait pas de nature à remplir les objectifs d’efficacité et d’efficience des marchés de défense. Aussi ne soutint-il pas le projet d'une nouvelle directive. En Décembre 2006, la Commission européenne a publié une communication interprétative sur l'application de l'article 296 (COM (2006) 779), considérée comme une première étape vers un marché européen des équipements de défense ouvert et plus équitable. La position du Ministry Of Defence (MOD) s’est ensuite infléchie vers une recherche des bénéfices que pourrait apporter une directive. Le gouvernement britannique en a depuis accepté le principe et l’a transposée en droit national.
Lorsque la directive a été présentée, la Commission a précisé qu’elle ne permettait ni ne réglementait les compensations (offsets). Cette position a été également soutenue par le gouvernement britannique qui a déclaré que « le texte ne doit ni explicitement autoriser ni interdire les compensations car c’est une question complexe qui devrait être résolue progressivement, notamment grâce à des travaux en cours à l'Agence européenne de défense»[3].
Des améliorations ont été apportées qui répondent aux préoccupations du Royaume-Uni. C'est notamment le cas pour la possibilité d’user de l'article 296 TCE qui n’est pas radicalement réduite. Toutefois, le MOD souligne qu’un certain nombre de questions demeurent, notamment à propos de la sous-traitance et du seuil d’application de la directive, mais aussi en ce qui concerne les exigences éventuelles de réciprocité qui affecteraient la compétitivité de l'industrie britannique dans les marchés mondiaux. Au bilan, la question clé identifiée par le MOD est de savoir si les avantages apportés par la directive en matière d'ouverture des marchés continuent à l'emporter sur les éventuels inconvénients.
Depuis l’adoption de la directive en 2009, des inquiétudes ont continué à se manifester, en particulier sur l'impact de la réduction des budgets de défense et des marchés en Europe suite à la crise économique. Un certain nombre de commentateurs se sont demandé si la directive allait vraiment avoir un impact sur l'ouverture du marché européen de la défense à la concurrence, ou si les États membres n’allaient pas continuer à protéger leur industrie en usant de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE) autant que possible ou en choisissant de ne pas appliquer les dispositions facultatives de la directive relatives à la sous-traitance.
Certains analystes estiment que la portée de la directive dépendra de la volonté des entreprises de défense et de la Commission européenne à contester les décisions des États membres et de les porter devant la Cour européenne de justice[4]. D'autres s’inquiètent sur les dommages potentiels que la directive peut infliger à l'investissement en recherche et développement, étant donné que les contrats de production feront l’objet d’une nouvelle mise en compétition : pourquoi investiraient-elles dans ces activités coûteuses alors qu’elles ne sont pas sûres d’obtenir un retour sur investissement ? La nécessité de consolider la demande au moyen d’une politique d’acquisition harmonisée est également évoquée car elle permet les économies d'échelle nécessaires au maintien du niveau des capacités européennes.
La transposition de la directive dans la législation britannique doit intervenir, comme pour ses partenaires, avant le 21 août 2011. Le « Règlement de 2011 sur les contrats de défense et de sécurité » est susceptible d'être transposé en utilisant la « procédure négative », qui ne nécessite pas un vote dans chaque Chambre. Si la transposition revêt un caractère obligatoire, certaines dispositions demeurent facultatives, notamment parmi celles qui sont relatives à la sous-traitance, c’est pourquoi le MOD a lancé en 2010 et début 2011 deux consultations sur la directive. La première consultation concernait précisément les éléments facultatifs de la directive alors que la seconde en a synthétisé les résultats pour proposer le texte du projet de règlement.
Il ressort notamment de ce projet que le MOD compte laisser le choix aux autorités contractantes de statuer sur l'obligation pour les entrepreneurs retenus de mettre en concurrence l’ensemble ou seulement une partie des contrats à sous-traiter. Ce choix sera fait au cas par cas en fonction de la plus-value estimée et des opportunités offertes aux petites et moyennes entreprises (PME) européennes. Le MOD a également choisi de ne pas transposer l'article 21 de la directive qui oblige les contractants à sous-traiter au moins 30% de la valeur du contrat car il serait susceptible de créer une discrimination parmi les soumissionnaires en fonction de l’organisation de leur chaîne d’approvisionnement.
La possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d'exiger des soumissionnaires qu’ils se conforment aux dispositions nationales du Royaume-Uni sur les habilitations de sécurité, en conformité avec les accords bilatéraux existants, sera transposé comme une série non exhaustive d'options utilisables au cas par cas. Il en va de même des dispositions qui permettent d'exiger des soumissionnaires certains documents et engagements concernant la sécurité d'approvisionnement.
Enfin, le MOD a décidé de n'appliquer la nouvelle règlementation qu’aux processus d'acquisition intervenant à partir du 21 août 2011.

2)    Allemagne

Selon certains analystes, « l’axe Paris-Berlin » s’est affaibli à partir de la présidence française du Conseil européen au deuxième semestre 2008 suivie du retour de la France dans les structures militaires de l'OTAN[5] : la présidence française de l'UE s’attendait à ce que l'Allemagne soutienne l'idée d'une relance de la PSDC mais son projet phare - une refonte de la stratégie européenne de sécurité et un développement des capacités militaires - s'est heurté à la réticence allemande. En 2010, les efforts des deux ministères de la Défense pour la mise en place de capacités militaires n'ont pas suscité de coopération plus étroite.
Lors d’une intervention au séminaire EuroDéfense du 6 mai 2011 relatif aux conséquences des actions communautaires sur le MEED et la BITDE et à l’impact des initiatives bilatérales, Kersten LEPPER[6] indiquait que la position des industriels allemands était similaire à celle des industriels français et britanniques, mais il s’interrogeait toutefois sur les possibilités de cohabitation entre des initiatives bilatérales et les nouvelles  directives du « paquet défense ».
Monsieur LEPPER soulignait que la coopération bilatérale était sans doute la plus adaptée car les processus d’acquisitions étaient plus simples, notamment pour des Etats dont la politique de défense était similaire. Il estimait pourtant que l’Allemagne avait  sous estimé l’intérêt de la coopération Franco-Britannique, ce type de projet étant moins attractif pour l’Allemagne où les déploiements sont soumis à des décisions au Bundestag qui s’inscrivent dans la durée. De plus, les allemands auraient du mal à fournir des garanties réciproques équivalentes à celles engagées  pour le traité Franco-Britannique.
Selon le représentant de la fédération des industries allemandes de sécurité et de défense, son pays doit conserver une place particulière aux côtés du couple franco-britannique. Les options envisageables seraient les suivantes :
-         Une place  intermédiaire entre la France et le Royaume-Uni ;
-         Un rôle de «  chef de file »  des petites nations européennes ;
-         Une intégration à l’accord Franco-Britannique (peu probable);
-         Une autre coopération bilatérale (incompatible avec la politique allemande de défense et de sécurité) ;
-         Une procédure « à géométrie variable » au travers du processus de Gand[7] au sein de plusieurs groupes d’États membres.
L’Allemagne devrait s’intéresser au traité Franco-Britannique qui est jugé pragmatique et orienté vers l’intérêt des nations selon une approche coûts/bénéfices. Mais puisque ce traité n’a pas vocation à s’élargir à d’autres États, l’Allemagne s’orientera probablement vers des partenariats où elle pourra lancer des initiatives dans le cadre de la PSDC.
D’après le docteur Scherer-Leydecker[8], au début des années 2000 et jusqu’en 2004, l’Allemagne ne recourait aux appels à la concurrence que pour 2% de ses contrats de biens concernant la défense : le pays était à la traîne en Europe alors que la France mettait en concurrence à la même époque jusqu’à 24% de ses contrats. Même s’il n’y a pas eu de réelle analyse juridique des pratiques des États membres en matière de recours aux procédures dérogatoires de l’article 296 TCE, il apparaît que les soumissionnaires sont réticents à lancer des procédures de vérification : en regard du nombre limité d’adjudicataires, ils craignent d’être écartés des futurs appels d’offres. Cependant, le nouveau cadre établi par la directive en matière de protection de la confidentialité et de sécurité rendront plus difficile l’invocation d’intérêts essentiels pour écarter le recours à une procédure de mise en concurrence. Les nouvelles règles vont également entraîner la prise de conscience qu’il existe une demande en matière de contrats d’armement et les principales questions relatives au recours à l’article 296 TFUE vont être clarifiées par la jurisprudence en matière d’acquisitions. En effet, la directive va probablement susciter des actions contre le recours aux exceptions lors des procédures d’attribution des marchés. En réaction, il y aura probablement une proportion plus élevée d’appels à la concurrence. Par ailleurs, la Commission a la possibilité de contraindre les États membres qui ne respecteraient pas les termes de la directive. Enfin, les critères de sécurité d’approvisionnement qui permettaient jusqu’à présent de justifier un traitement préférentiel des soumissionnaires nationaux seront désormais plus difficiles à avancer. Le docteur Scherer-Leydecker relève à ce propos que la règle de non-discrimination de l’article 18 du TFUE a vocation à s’appliquer aux marchés de défense et de sécurité, que ce soit au bénéfice des soumissionnaires européens comme au bénéfice des soumissionnaires extérieurs à l’Union, notamment ceux situés aux États-Unis.
Une circulaire du Ministère fédéral de l'Économie et de la technologie[9], adressée notamment aux ministères allemands de la Défense et de l'Intérieur, établit les modalités d’application du nouveau cadre légal issu de la mise en œuvre de la directive 2009/81. Il en ressort que la transposition a conduit le gouvernement fédéral à amender courant août sa loi sur la concurrence, la GWB[10]. Une nouvelle loi relative aux acquisitions en matière de défense et de sécurité est par ailleurs en cours d’élaboration avec une entrée en vigueur prévue pour janvier 2012. Cette circulaire préliminaire ne concerne que les marchés d’acquisition de biens et de services de défense ou de sécurité d’une valeur estimée hors taxes supérieure ou égale à 387 000 € - en dessous de ce seuil, la réglementation fédérale est appliquée. Son objectif est d’orienter les pratiques en attendant l’entrée en vigueur du nouveau cadre législatif. Elle répond à l’esprit de la directive 2009/81 et rappelle notamment que le recours aux exemptions qui s’appuient sur l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE) doit revêtir un caractère exceptionnel et devront faire l’objet de justifications détaillées.
A la différence de la démarche adoptée en France, le cadre retenu par le gouvernement fédéral se distingue du règlement applicable aux marchés publics civils afin de préserver l’efficacité du pouvoir adjudicateur au profit des forces opérationnelles.
A ce stade, il n’a pas été prévu de mesures particulières visant à contrôler l’accès au marché par des opérateurs économiques ne relevant pas de l’Union européenne, même si le ministère Allemand de la défense se montre réservé sur la position de la Commission en matière d’ouverture des marchés.

3)    Autres États-membres

La Suède, l’Italie et l’Espagne ont choisi de transposer la directive sous forme d’un texte autonome, comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
La Suède dispose d’une BITD modeste (moins de 150 entreprises de défense[11]) mais elle fait partie des signataires de la LoI du 6 juillet 1998 qui visait à faciliter les restructurations et le fonctionnement de l'industrie européenne en matière d'armement. Dans le cadre de la transposition de la directive 2009/81, un texte de loi doit compléter le code suédois qui comporte une partie dédiée aux acquisitions réalisées dans le cadre de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE). On notera que le service d'acquisition de la défense suédoise (FMV) ne ferait pas de différence entre les opérateurs économiques ressortissants des États membres et les opérateurs extérieurs à l’Union : les marchés publics de défense et de sécurité suédois resteront donc relativement ouverts à la concurrence mondiale. La Suède semble cependant vigilante sur les questions de sécurité des approvisionnements et le FMV s’intéresse plus particulièrement aux critères qui permettent d’écarter des opérateurs coupables de fautes en matière de sécurité.
Le Général Claudio TOZZI, de la direction nationale de l'armement italienne (DNA), expliquait en 2008 dans un rapport de l’Assemblée de l’UEO[12] que les processus d'acquisition et de gestion des armements devenaient de plus en plus complexes et qu’ils devaient être révisés sur la base des modèles utilisés par les autres pays industriels développés. La directive 2009/81 s’inscrit dans cette démarche et devrait donc recevoir un accueil favorable de la part de la DNA. Se plaçant dans une perspective résolument intergouvernementale, le général TOZZI relevait que le processus d'intégration européenne provoquait notamment un accroissement de la coopération dans les domaines de la recherche, du développement et de la production en matière de sécurité et de défense. Accueillant favorablement le rôle de l’AED dans la rationalisation de la demande et le soutien d’une base industrielle et technologique de défense européenne, il rappelait la nécessité d'ajuster les réglementations nationales tout en insistant sur l'importance de l’action des gouvernements. Enfin, s’il estimait nécessaire d’établir un cadre juridique et administratif pour les marchés d’armement, il considérait également qu’il fallait « accroître la pénétration du marché international des armements ».
L’Italie devrait transposer la directive 2009/81 sous la forme d’un décret gouvernemental. Il n’a pas été prévu de mesures particulières pour contrôler l’accès au marché intérieur par les États tiers car les instruments proposés par la directive en matière de sécurité d’approvisionnement ou d’information apparaîtraient suffisants. Le recours à l’article 346 TFUE demeure toutefois possible.
En Espagne, la Chambre des représentants a travaillé sur un nouveau projet de loi dont le texte a été examiné courant juin par le Congrès. Le pays souhaiterait toutefois conserver l’article 44 de son code des marchés, qui exige une réciprocité de l'accès au marché des deux parties liés par une opérations de compensations. D’après le général Victor Martinez ZARO, chef de la Direction générale des achats à la Direction générale des Affaires économiques du Ministère de la Défense espagnole[13], les possibilités offertes par la directive en matière de sécurité de l'information et des approvisionnements ainsi que la flexibilité dans les procédures de passation des marchés sont accueillies favorablement. Selon lui, la nouvelle loi sur les marchés de défense va également faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises aux marchés de sous-traitance grâce à l’externalisation. Par ailleurs, les options proposées par la directive concernant l'exigence d’un pourcentage minimum de sous-traitance seraient cohérentes avec le cadre réglementaire national. D’après un article d’Antonio Martinez GONZALEZ (Professeur d'économie appliquée de l'Université Rey Juan Carlos) et de Pedro Gutierrez BERNAL (Général de l’armée de l’air espagnole, ancien directeur de CESEDEN)[14], les effets négatifs de la crise économique actuelle sur l’économie réelle des pays européens et leur impact immédiat sur les budgets de défense nationaux et sur les investissements, peuvent avoir des conséquences sur la capacité opérationnelle de nos forces ainsi que sur la compétitivité de la base industrielle et technologique de défense. Dans ce contexte, la mise en œuvre du nouveau cadre imposé par la directive serait selon eux de nature à affecter gravement les intérêts de l'Espagne et elle nécessiterait une grande vigilance, voire la recherche de solutions alternatives.

C.   Le bilan côté français

En France, la directive 2009/81/CE a été transposée pour partie dans une loi[15] et pour partie par voie réglementaire au moyen d’un décret en Conseil d’Etat qui en précise les modalités d’application[16] . Le ministère de la défense souhaitait disposer d'un code des marchés publics séparé car spécifique, mais cette formule n’a pas reçu l’assentiment du gouvernement, la création d'une troisième partie du CMP permettant probablement de rester proche de l'esprit du code. Le « décret défense » (n°2004-16) sur lequel s’appuyaient les PRM du ministère est désormais abrogé.

1)    Une loi fidèle à la directive européenne

Afin de demeurer fidèle aux principes fondamentaux de la directive 2009/81/CE, la loi n°2011-702 reprend l’ensemble de ses dispositions qui n’ont pas de caractère optionnel.  Elle comporte 10 articles dont deux sont spécifiques à la directive MPDS : l’Article 5 modifie sept articles (Art. 2, 3, 4, 7, 8, 37 et 38) de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics et l’Article 6 modifie les alinéas 2 et 19 de l’article 551 du code de justice administrative relatifs aux référés en matière de contrats publics.
Les définitions énoncées dans l’article 1 de la directive 2009/81/CE ont été intégralement reprises dans le texte de loi.
La définition de la sous-traitance dans la directive recouvre les contrats de fournitures, à la différence de la définition de la sous-traitance en droit interne. Par conséquent, il est proposé de créer une notion nouvelle, le « sous-contractant » : cette notion recouvre les notions de sous-traitants, tels qu’ils sont définis en droit interne, et de fournisseurs.
Aux termes des dispositions de l’article L. 551-18 du Code de Justice Administrative (CJA), le juge prononce la nullité d’un contrat lorsque notamment les exigences de publicité, de remise en concurrence ou de délai de notification d’attribution d’un marché n’ont pas été respectées. L’article L.551-19 précise pour sa part les sanctions de substitution lorsque le juge ne prononce pas la nullité du contrat. Il a donc été proposé de préciser dans le CJA, que le juge ne peut prononcer la nullité du contrat lorsque cette mesure menacerait sérieusement l'existence même d'un programme de défense ou de sécurité plus large qui est essentiel pour les intérêts de sécurité de l’Etat. Il lui appartient, dans ce cas, de choisir entre les différentes sanctions de substitution prévues.
Parmi la liste des interdictions de soumissionner figurant à l’article 8 de l’ordonnance du 6 juin 2005, il est proposé d’ajouter les infractions terroristes ou infractions liées aux activités terroristes ainsi que le financement du terrorisme puisque le code pénal sanctionne ces délits en droit interne.
Les directives communautaires 2004/18/CE, 2004/17/CE et 2009/81/CE prévoient chacune des cas d’exclusion dans lesquels les acheteurs publics peuvent se dispenser de toute procédure.  Les exclusions communes aux marchés ordinaires et aux marchés passés dans les domaines de la défense et de la sécurité sont séparées des exclusions spécifiques dans le nouveau texte afin d’éviter que les acheteurs publics utilisent abusivement les exclusions propres aux marchés ordinaires pour leurs marchés de défense ou de sécurité.
L’exclusion relative à l’acquisition de biens immeubles est plus restrictive pour les marchés ordinaires que pour les marchés de défense ou de sécurité, c’est pourquoi ces derniers sont expressément exclus des dispositions. 
L’exclusion relative aux marchés passés en vertu des règles d’une organisation internationale  recouvre également les achats des acheteurs publics pour le compte des organisations internationales, il est apparu utile d’en préciser la signification à l’occasion de la transposition.
La directive 2009/81/CE étant adaptée à la sensibilité des marchés de défense et de sécurité, l’exigence du secret n’est donc plus une cause de dérogation pour les marchés de défense et de sécurité.
Il est désormais clairement prévu que les marchés de services de R&D dont le coût ou les bénéfices sont partagés alternativement entre l’acheteur et le titulaire bénéficient d’une exclusion. L’acception de la R&D pour les marchés de défense et de sécurité est toutefois plus étroite que pour les marchés ordinaires, du fait des coûts importants qui la caractérisent, c’est pourquoi de sa définition a été inscrite dans la loi.
Aux termes de la directive, les dispositions de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE) s’appliquent lorsque les conditions requises sont réunies. Cette exclusion est par conséquent reprise dans le nouveau texte, tout comme celle qui concerne les marchés pour lesquels l’application de l’ordonnance ou du code des marchés publics obligerait à une divulgation d’informations contraire aux intérêts essentiels de sécurité de l’Etat.
Enfin, sont reprises dans la loi les exclusions relatives aux marchés spécifiquement destinés aux activités de renseignement, aux marchés passés dans le cadre d’un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement mené conjointement par l’Etat et un autre Etat membre de l’Union européenne ou encore les marchés passés dans un pays tiers lorsque des forces sont déployées hors du territoire de l’Union européenne, et que les besoins opérationnels exigent qu’ils soient conclus avec des opérateurs économiques locaux implantés dans la zone des opérations et ceux ayant pour objet des travaux, fournitures ou services lorsque la passation d’un marché global est justifiée pour des raisons objectives.
Au titre des dispositions notables qui doivent permettre d’écarter les sous-contractants jugés non fiables, l’article suivant a été ajouté au texte de loi : « Pour les marchés de défense ou de sécurité, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent ne pas accepter un opérateur économique proposé par le candidat ou le titulaire comme sous-contractant, pour l’un des motifs prévus à l’article 8 ou au motif qu’il ne présente pas les garanties suffisantes telles que celles exigées pour les candidats du marché principal, notamment en termes de capacités techniques, professionnelles et financières ou de sécurité de l’information ou de sécurité des approvisionnements »[17].

2)    L’exploitation des options et attendus de la directive

La transposition traduit les choix et les initiatives prises par le législateur national en vue d’exploiter les options offertes par la directive sans en trahir la lettre puisque certains aménagements ou développements s’appuient sur les attendus énoncés dans le texte européen. Il convient de noter par ailleurs que la première partie de la loi 2011-702 déjà citée comprend les dispositions relatives au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés dans le cadre de la transposition de la première directive du « paquet défense » simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense : elle complète certains articles du code de la défense, notamment relatifs aux matériels de guerre, armes et munitions.
L’ensemble des motifs d’interdiction de soumissionner proposées dans l’article 39 ont été transposés en droit national, comme par exemple les délits liés à la moralité professionnelle, les condamnations pour violation des obligations en matière de sécurité de l’information ou de sécurité de l’approvisionnement lors d’un précédent marché ou encore le manque de fiabilité d’un candidat en rapport avec la préservation de la sécurité de l’Etat.
Le délit d’atteinte à la moralité professionnelle peut être qualifié en droit interne par une violation du secret professionnel, sanctionnée par le code pénal, qui peut par conséquent constituer un motif d’interdiction de soumissionner en référence aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics [18]. Sont également repris dans la loi les références aux articles du code de la défense relatifs à la violation de la législation en matière d’exportation d’équipement de défense ou de sécurité : manquements aux règles de fabrication et de commerce de matériels de guerre, armes et munitions (visés aux articles L. 2339-2 à L.2339-4) ; manquements aux règles de port, de transport et d’expédition de matériels de guerre, armes et munitions (visés à l’article L. 2339-9) ; manquements aux règles d’exportation, d’importation et de transfert de matériels de guerre, armes, munitions (visés aux articles L. 2339-11-1 à L. 2339-11-3). L’interdiction de soumissionner liée à la violation des obligations de l’attributaire en matière de sécurité de l’information ou de sécurité de l’approvisionnement lors d’un précédent marché peut pour sa part être caractérisée par les articles du code pénal correspondant aux atteintes au secret de la défense nationale (articles 413-9 à 413-12) qui ont par conséquent été ajoutés dans les références à l’ordonnance du 6 juin 2005 citée supra. Toutefois, il n’existe pas de sanction pénale relative à un défaut de fiabilité susceptible de porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Une nouvelle interdiction de soumissionner a donc été ajoutée à l’ordonnance du 6 juin 2005. Il en est de même pour le cas des personnes qui ont été sanctionnées par la résiliation d’un précédent marché dont ils étaient titulaires ou qui ont vu leur responsabilité civile engagée par une décision de justice pour méconnaissance de leurs engagements en matière de sécurité d’approvisionnement ou en matière de sécurité de l’information.
La directive 2009/81/CE offre la possibilité dans son article 21-5 de rejeter les sous-traitants sélectionnés par le soumissionnaire au stade de la procédure d’attribution du marché principal ou par le soumissionnaire retenu lors de l’exécution du marché, sous réserve de se fonder sur les critères de sélection fixés pour le marché principal. Cette possibilité a été ajoutée à l’article 37-1 de l’ordonnance du 6 juin 2005 afin de contribuer à la sécurité des approvisionnements ainsi qu’à la sécurité des informations en permettant aux pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices de ne pas accepter un ou plusieurs sous-contractants.
En matière de référé précontractuel, le pouvoir d’annulation conféré au juge (Art. 551-2 du CJA) est remplacé par un pouvoir d’injonction et d’astreinte en cas de non respect des règles de publicité et de mise en concurrence (Art. 551-6 et 551-7 du CJA), conformément aux dispositions de l’article 56.1 de la directive MPDS qui en offre la possibilité au législateur national. En effet, les enjeux représentés par les programmes de défense et de sécurité ne sauraient être exposés à des risques d’annulation dont les conséquences seraient sans commune mesure avec les intérêts du requérant.
En ce qui concerne les engagements internationaux, l’ouverture à la concurrence des marchés de défense et de sécurité rend indispensable la mise en œuvre de la faculté reconnue aux États membres par le considérant 18 de la directive de « décider si oui ou non leurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de passation des marchés ». Ainsi, le nouvel article 37-2 de l’ordonnance du 6 juin 2005 permet aux acheteurs publics de fermer aux opérateurs économiques tiers à l’Union l’accès à certains de leurs marchés de défense ou de sécurité.
Alors que le rapport du Sénat (déjà cité) déplore l’absence dans la directive MPDS de reconnaissance juridique formelle de la clause de préférence communautaire et de l’obligation de réciprocité pour l’ouverture des marchés et même si d’après Yves Fromion, rapporteur de la Commission de la Défense nationale à l’Assemblée nationale, la nouvelle loi ne devrait avoir qu’un impact limité pour le ministère de la défense[19], la partie réglementaire de la transcription a amené quelques mesures supplémentaires à même de protéger notre BITD nationale.

3)    Des dispositions nationales spécifiques

Le volet règlementaire de la transposition s’est concrétisé le 15 septembre 2011 par la publication au journal officiel du décret n° 2011-1104  relatif à la passation et à l'exécution des marchés de défense ou de sécurité.
En cohérence avec la transposition en droit français de la première directive du « paquet défense» relative aux transferts de produits liés à la défense dans la communauté européenne, les termes du décret s'inscrivent en complément des dispositions issues de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011, relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité. Ce nouveau texte a pour effet d'insérer au sein du CMP une troisième partie spécifique aux marchés de défense ou de sécurité et d’abroger le « décret défense » de 2004.
Les règles édictées s’appliquent aux marchés publics de défense ou de sécurité tels que définis à l'article 179 du CMP, les autres marchés étant soumis soit à la première partie du CMP, soit libres de tout cadre réglementaire lorsqu’ils relèvent d’une des exclusions prévues aux articles 180 à 184.
En complément de la loi 2011-702, le décret 211-1104 transpose fidèlement la directive 2009/81/CE. Il prévoit en effet un certain nombre de mesures directement issues du texte communautaire, comme la mise en œuvre des procédures négociées et met en place des critères particuliers de sélection des soumissionnaires. Il permet également aux pouvoirs adjudicateurs d’imposer certaines exigences en matière de sécurité des informations et de sécurité d’approvisionnement, définit les régimes applicables aux sous-traitants et aux sous-contractants et transpose les cas d’exclusions du code des marchés publics propres aux marchés de défense et de sécurité.
Le décret exploite par ailleurs toutes les marges de manœuvres offertes par la directive en prévoyant notamment des dispositions propres à favoriser le renforcement de la BITDE, considérée comme un des principes fondamentaux de la commande publique (article 177), ainsi que la possibilité de fermeture des MPDS aux opérateurs économiques issus de pays tiers à l’Union européenne.
Le décret comporte en outre des dispositions nationales spécifiques préservant les intérêts du ministère de la défense, ce qui permet non seulement d’éviter toute régression suite à l’abrogation du « décret défense » mais aussi d’apporter des améliorations en matière de négociation et de gestion de contrats. C’est ainsi qu’il reprend un certain nombre de dispositions du « décret défense », comme la possibilité de prévoir des provisions pour aléas à hauteur de 15 % du montant du marché (art. 247), l'introduction de nouveaux cas de prix provisoires (art. 199) et l'insertion d'une clause autorisant le paiement différé dans des cas exceptionnels (art. 266). Par ailleurs, le nouveau décret adapte certaines dispositions nationales applicables aux marchés publics civils mais jugées trop contraignantes pour les MPDS, en supprimant notamment l'obligation d'allotissement des marchés (art. 189) ou en précisant les modalités de révision des prix (art. 198), aspect particulièrement sensible des transactions pré et post-contractuelles. Il introduit également une simplification des procédures en cas de crise en autorisant l’échange de lettres (art. 208, II, 2°), propose un régime de paiement des avances et des acomptes (art. 260 à 264) et fixe les modalités du contrôle des coûts de revient (art. 289).
Enfin, le décret 2011-1104 met également en place des mesures nouvelles comme le relèvement de 5 à 10 % du montant minimum de l'avance versée aux titulaires de marchés qui sont des PME (art. 261) et le renforcement de l'obligation de fournir des documents en langue française (art. 186, 191, 219, 224, 240 et 244).



[1] Rapport n°306 du 15 février 2011, op. cit.
[2] TAYLOR Claire, EC Defence Equipment Directives [en ligne], Standard Note: SN/IA/4640, 3 June 2011, Section International Affairs and Defence Section. Disponible sur www.parliament.uk/briefing-papers/SN04640.pdf
[3] Ibid., p. 13.
[4] O’DONNELL Clara, The EU takes on defence procurement [en ligne], in Centre for European Reform, November 2008. Disponible sur http://www.cer.org.uk
[5] KEMPIN Ronja et VON ONDARZA Nicolai, La PSDC menacée d'érosion ? ... de la nécessité de ramener la France et la Grande-Bretagne dans son giron [en ligne], in SWP – Institut allemand de politique internationale et de sécurité, juin 2011. Disponible sur http://www.swpberlin.org/fileadmin/contents/products/aktuell/ 2011A25_kmp_orz_ks.pdf
[6] Directeur général adjoint de la Fédération Allemande des Industries de Sécurité et de Défense (BDSV).
[7] Afin de faire progresser la PSDC, l'Allemagne a publié fin 2010 avec la Suède un document de réflexion sur "l'intensification de la coopération militaire en Europe" (initiative de Gand). Les propositions germano-suédoises demeurent toutefois en retrait par rapport aux ambitions françaises puisqu'elles ne portent pas sur ce que les Français considèrent comme nécessaire et urgent : la mise en place de capacités pour les opérations militaires de moyenne et de forte intensité.
[8] SCHERER-LEYDECKER Christian, European defence procurement in transformation [en ligne]. 31 mars 2011. Disponible sur http://defpro.com/daily/details/785
[9] Circulaire du Ministère fédéral de l’Economie et de la technologie du 26 juillet 2011 relative à la mise en œuvre de la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 Juillet 2009 sur la coordination des procédures de passation certaines œuvres, de fournitures et de services dans les domaines de la défense et de la sécurité et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE, disponible sur http://www.bmwi.de.
[10] Gesetz gegen WettbewerbBeschränkungen (GWB): loi contre les restrictions de la concurrence.
[11] Etude d’impact du 25 octobre 2010 concernant le Projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr/html/etudes_impact/lois_publiees/2011/ei_materiels_guerre.pdf, page 25.
[12] O’HARA Edward, Rapport sur l’acquisition d’équipements de défense en Europe, Exposé des motifs, Assemblée de l’UEO, 04/06/08, Disponible sur http://www.assembly-weu.org/fr/, §15 à 20.
[13] Adaptación de la directiva 2009/81 de la UE, Los ámbitos de la defensa y la seguridad contarán con una ley de contratos públicos propia, Minisdef, 28/04/2011, disponible sur http://www.infodefensa.com/?noticia=los-ambitos-de-la-defensa-y-la-seguridad-contaran-con-una-ley-de-contratos-publicos-propia.
[14] Antonio Martinez Gonzalez et Pedro Gutierrez Bernal, Nouvelles directives européennes sur les transferts et les acquisitions de défense: une étape vers une défense européenne compétitive et la sécurité,  Monday, Juin 6, 2011 – article disponible sur http://www.revistatenea.es/revistaatenea/revista/articulos/GestionNoticias_ 5204_ESP.asp
[15] Loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité.
[16] Décret n°2011-1104 du 14 septembre 2011 relatif à la passation et à l’exécution des marchés publics de défense ou de sécurité mise à jour de directives, du code des marchés publics, du code des douanes ou encore du code de justice administrative.
[17] LOI n° 2011-702, ibid., article 5-6.
[18] Article 8 de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
[19] La majorité des marchés passés par la DGA relève de la procédure dérogatoire prévue par l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE).