IV. TRANSPO- SITIONS DE LA DIRECTIVE MDS.
Le « paquet défense »
est issu d’une initiative de la Commission européenne. Elle exerce ici ses
prérogatives dans un domaine sensible qui se heurte aux intérêts et à la
souveraineté des États-membres. La manière dont chaque pays perçoit la
directive en fonction de ses intérêts propres met en évidence les travers
qu’elle ne manquera pas de susciter. Côté français, même si des avancées ont
été obtenues en matière de protection du marché intérieur, la proposition de
« préférence européenne » n’a pas été retenue par nos partenaires. La
transposition en droit interne permettra toutefois d’ajouter quelques verrous
et de préciser les bonnes pratiques au plan national.
A. Les acteurs en présence
Alors que la Commission exerce ici sa compétence dans un
domaine où la souveraineté des états les porte plus naturellement vers des
réflexes de protection sinon d’accords intergouvernementaux, la souveraineté de
chaque État membre s’exprimera lors de la transposition en droit national par
les parlements et les gouvernements. Pour leur part, les divers groupes
d’influence européens ont pu s’exprimer à Bruxelles lors de l’élaboration du
paquet défense, puis au plan national à l’occasion de la procédure de
transposition.
1) La Commission et les gouvernements
Organe exécutif, la Commission européenne est politiquement
indépendante et chargée de promouvoir l’intérêt général de l’Union :
contrairement aux chefs d’État et de gouvernement du Conseil européen ou aux
ministres du Conseil de l'Union européenne, les commissaires ne représentent
pas leur État d'origine. La Commission fonctionne selon le principe de la
collégialité, autrement dit, les décisions y sont prises collectivement par le
collège des commissaires et non par chaque commissaire individuellement.
Investie d'un droit d'initiative dans le domaine législatif, elle soumet des
propositions de loi au Conseil de l'Union et au Parlement européen. Ce droit
d’initiative lui permet de décider des sujets qui doivent être inscrits à
l’agenda, d’autant qu’un acte législatif de l'Union ne peut, selon la procédure
normale, être adopté que sur proposition de la Commission. En revanche, elle
doit suivre les orientations politiques fixées par le Conseil européen.
Alors que dans le cadre des politiques communes, le droit
d’initiative de la Commission est exclusif - elle élabore les textes
législatifs (directive et règlement) et les soumet à la délibération du
Parlement et du Conseil en fonction des matières concernées - elle partage son
droit d’initiative avec les États membres notamment dans le cadre de la Politique
étrangère et de sécurité commune ou avec les États membres et la Banque
centrale européenne dans le cadre de l'Union économique et monétaire.
En qualité de "gardienne des traités", la
Commission veille également, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union
Européenne (CJUE), à l’application des traités, directives et règlements. A ce
titre, elle peut saisir la CJUE de tout manquement observé par un des 27 États
membres. La Commission s’assure en particulier de l'application des règles de concurrence
et elle peut décider d’infliger des amendes aux agents économiques en
infraction.
Dans ce cadre, l’Article 32 du TFUE stipule que la
Commission doit s’inspirer « de la nécessité de promouvoir les échanges
commerciaux entre les États membres et les pays tiers », « de
l'évolution des conditions de concurrence à l'intérieur de l'Union, dans la
mesure où cette évolution aura pour effet d'accroître la force compétitive des
entreprises », « des nécessités d'approvisionnement de l'Union en matières
premières et demi-produits, tout en veillant à ne pas fausser entre les États
membres les conditions de concurrence sur les produits finis » ainsi que
« de la nécessité d'éviter des troubles sérieux dans la vie économique des
États membres et d'assurer un développement rationnel de la production et une
expansion de la consommation dans l'Union ». Ces éléments, confrontés aux
exigences des intérêts essentiels des
États, sont au cœur de la réflexion qui a conduit à l’élaboration de la
Directive 2009/81.
En ce qui concerne les
gouvernements nationaux, ils sont représentés au sein du Conseil européen par
les chefs d’État et de gouvernement et au Conseil de l’Union européenne par les
ministres de chaque pays membre, l’ordre du jour définissant les ministères
concernés.
Le Conseil européen et le
Parlement partagent la responsabilité de la décision finale sur les projets
d'actes législatifs proposés par la Commission. On notera au passage que le
pouvoir d’orientation politique du Conseil européen permet d’anticiper en amont
d’éventuelles divergences d’appréciation avec la Commission.
La procédure législative
ordinaire (Article 294 TFUE) s’articule autour de la Commission, du Conseil et
du Parlement européen. La proposition élaborée par la Commission est transmise
en première lecture au Parlement qui a la possibilité de proposer des
amendements, puis au Conseil qui peut l’adopter en l’état ou demander une
deuxième lecture à l’issue de laquelle une procédure de conciliation sera
lancée si le Conseil n’adopte toujours pas le texte.
Dans le cas du
« paquet défense », élaboré sous la présidence française de l’Union
en 2009, il est intéressant de préciser le travail réalisé autour du Conseil.
L’organisation comporte trois niveaux dont le premier comprend des groupes
d’experts constitués spécialement en fonction du domaine abordé : ils
discutent le projet article par article afin de dégager une position commune à
27. Le niveau immédiatement supérieur correspond au COREPER (COmité des
REprésentants PERmanents) constitué des représentations permanentes menées par
les ambassadeurs de chaque nation, dont le rôle est de préparer l’ordre du jour
du Conseil des ministres avec des textes suffisamment aboutis. Enfin, le niveau
supérieur est constitué par le Conseil des ministres où le ministre du pays qui
préside l’Union fait adopter une position commune, le plus souvent à la
majorité qualifiée, qui est ensuite transmise au Parlement puis à la
Commission.
Dans le cadre du processus d’élaboration de la directive
2009/81, les relations entre la Commission et le Conseil se sont cristallisées
autour de deux principaux écueils : la position idéologique de la Commission et
les menaces d'une transposition maximaliste. En effet, la Commission estime
qu’il ne peut pas y avoir d'exception aux mécanismes de marché, car toute
exception ouvre la porte au protectionnisme et au mercantilisme. A ce premier
écueil vient s’ajouter le risque d’une interprétation maximaliste lors des
transpositions en droit national, par exemple en poussant plus loin la logique d’ouverture
des marchés. On notera à ce propos que d’après un membre du groupe d’experts,
lorsque le projet de directive a été discuté avec les États et les industriels, la Commission a joué sur les
divergences en confrontant d’une part les 6 pays signataires de la LoI avec les
nouveaux entrants dans l’Union et d’autre part la France avec la Grande
Bretagne en agitant le tropisme transatlantique de cette dernière.
Une position commune a toutefois été trouvée à 27 et le
Parlement européen a adopté le texte à une large majorité lors de la séance
plénière du 14 janvier 2009 par 597 voix pour, 69 contre et 33 abstentions.
Issu d’un compromis entre le Parlement et le Conseil, il constitue la seconde
composante du « paquet défense » qui découle d’une proposition de la
Commission de décembre 2007, discutée au Groupe de travail « marchés publics »
du Conseil et à la Commission « Marché intérieur » du Parlement Européen. Les
dispositions spécifiques concernant la sous-traitance et les recours ont été
ajoutées au texte lors de la négociation. A la fin de la période de présidence
française, le Conseil et le Parlement ont trouvé un compromis sur un texte
final modifiant la proposition de la Commission qui a finalement été approuvé
par le Conseil le 13 juillet 2009.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne
s’est déroulée de juillet à décembre
2008. Elle s’est notamment caractérisée par la volonté de proposer des
solutions pragmatiques pour augmenter les capacités civiles et militaires des
États membres et permettre à l'Europe de mieux assumer ses responsabilités en
matière militaire. Deux raisons ont été identifiées pour expliquer les carences
de l'Europe de la défense : l'éparpillement et l'insuffisance des dépenses de
défense en Europe. A ce titre, la France a soutenu la proposition de la
Commission européenne de créer un véritable marché intérieur de la défense afin
de favoriser la compétitivité et de renforcer la base industrielle et
technologique européenne de défense.
2) Le gouvernement et le parlement
En France,
le ministre de la défense a présenté en Conseil des ministres du 27 octobre
2010 un projet de loi relatif aux deux directives du "paquet
défense", TIC (Transferts intra communautaires) et MPDS (marchés publics
de défense et de sécurité).
La transposition
se fera principalement par décret c’est-à-dire qu’elle relèvera du domaine
réglementaire, propre au pouvoir exécutif (Gouvernement) et sera traduite par
une actualisation du Code des Marchés Publics. Le projet de loi (partie
législative, propre au Parlement) ne concerne que le régime juridique
spécifique à certaines personnes publiques tel qu'il est régi par l'ordonnance
du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises
au code des marchés publics. Néanmoins cette partie est essentielle, car les
dispositions les plus importantes serviront de modèle pour la partie
réglementaire du code des marchés publics.
L'essentiel
des modifications apportées par le Sénat à cette partie du texte concernait
l'affirmation d'une clause de préférence communautaire souple. En effet, le
projet de loi tel que déposé par le Gouvernement ne donnait qu'une
interprétation modérée et ambiguë du considérant 18 (pouvoir d’écarter les
candidats de certains pays tiers). Le principe retenu est que les appels
d'offre français sont ouverts aux seuls opérateurs économiques européens et que
ce n'est que par exception que les pouvoirs adjudicateurs peuvent ouvrir leurs
offres à l'ensemble de la concurrence. Encore doivent-ils le faire en prenant
en compte plusieurs éléments tels que les impératifs de sécurité d'information
et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la
sécurité de l'Etat ou encore l'intérêt de développer la base industrielle et
technologique de défense européenne. L'Assemblée nationale a souhaité ajouter à
ces conditions la prise en compte de « l'obtention d'avantages mutuels ». La
condition de localisation de l'offre sur le territoire européen a été complétée
par la prise en compte des
considérations environnementales ou sociales dans la décision d'accepter ou de
rejeter une offre.
Le texte a
été déposé en première lecture au Sénat qui l’a amendé puis transmis à
l’Assemblée nationale (« navette parlementaire ») avant d’être
définitivement adopté en deuxième lecture par le Sénat le 22 juin 2011.
L’étude
d’impact a estimé que les dispositions législatives modifiant l’ordonnance du 6
juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises au
code des marchés publics ne devraient avoir qu’un impact limité pour le
ministère de la défense dont l’essentiel des marchés relève de la procédure
dérogatoire prévue par l’article 346 TFUE. Cette partie du projet de loi a été
significativement complétée par le Sénat qui a clairement introduit le principe
de préférence communautaire et qui a donné aux pouvoirs adjudicateurs et aux
entités adjudicatrices les moyens d’écarter les candidats qui ne disposeraient
pas des capacités techniques suffisantes ou dont la fiabilité pourrait être
mise en cause.
La Direction des affaires juridiques du ministère de
la défense travaille actuellement sur la partie réglementaire de la
transposition qui devrait prendre la forme d’un projet de décret attendu
courant août. Un responsable des achats de la DGA indiquait courant mai que les
travaux réglementaires voient s’affronter deux logiques : une logique
d’acheteurs pragmatiques qui cherchent
à concilier au quotidien les intérêts essentiels de l’Etat ou sa politique
industrielle avec des pratiques respectueuses du cadre réglementaire et une
logique de juristes qui tirent les leçons de la jurisprudence européenne et
nationale pour élaborer des codes à même d’assurer un niveau de sécurité
juridique acceptable. Entre le boulevard Saint Germain (Ministère de la défense
et des anciens combattants) et Bercy (Ministère de l’économie et des finances)
en passant par Bagneux et Balard (DGA), l’objectif est donc de trouver le
meilleur compromis qui permette de converger vers un cadre réglementaire
national qui permette à la France de préserver ses intérêts tout en participant
au renforcement de la BITDE et sans trop prêter le flanc à des procédures de
recours.
3) Les industriels français
Les industriels français du secteur
de la défense disposent de leur propre organisation professionnelle, le CIDEF (Conseil
des Industries de Défense Françaises) qui représente différents groupes
professionnels : le GIFAS (Groupement des Industries Françaises
Aéronautiques et Spatiales), le GEAD (Groupe des équipementiers aéronautique et
de défense), le GICAN (Groupement
Industriel des Constructions et Armements Navals) et le GICAT
(Groupement des Industries Concernées par les Matériels de Défense Terrestre).
Le CIDEF étudie les questions communes aux industries de défense françaises
dans leur environnement national - il représente ses adhérents auprès des
autorités compétentes françaises – ainsi que dans leur environnement européen
où il s’investit notamment par des actions de lobbying. Le CIDEF est intervenu
dès l’origine de l’élaboration de la directive 2009/81, tant à Bruxelles qu’à
Paris où ses représentants ont notamment été auditionnés par la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par
Monsieur Josselin de ROHAN[1].
Lors de leur audition au Sénat, les
représentants du CIDEF ont notamment souligné que le champ d'application de
l'article 346 TFUE ne devait pas être trop réduit afin de ne pas risquer
d'entamer la souveraineté des États et de réduire la capacité de nos
industriels à affronter la concurrence internationale et en particulier celle
des États-Unis. En ce qui concerne le périmètre de l'article, les industriels
ne jugent pas souhaitable qu'une liste trop précise soit établie car il s’agit
de technologies évolutives et en délimiter le champ serait contraignant voire
périlleux. Dans la même logique, ils ne souhaitent pas non plus que les
domaines évoqués pour le « premier cercle » dans le Livre blanc soient
considérés comme constituant le périmètre de l'article 346 TFUE.
M. Eric Trappier, président de la
commission européenne du CIDEF, a expliqué les différents intérêts qui
s’opposent dans le contexte actuel entre différentes catégories d'industriels
de taille et de position variées (grands groupes, équipementiers, PME, maîtres
d'œuvre, fournisseurs) et entre des États membres dont les politiques
d'acquisition différent sensiblement s’ils possèdent ou non une industrie de
défense.
Dans le cadre du processus
d’élaboration de la directive, l'action des professionnels a permis notamment
d'introduire le considérant 18 qui offre une référence juridique en rappelant
que l'accès aux marchés de défense et de sécurité demeure dans le champ de la
souveraineté des États membres : l'ouverture est une possibilité, non une
obligation. Autre avancée, l'exclusion des marchés de recherche et technologie
du champ de la directive permet de préserver la possibilité de mener une
politique industrielle visant à développer et maintenir des compétences jugées
critiques ou sensibles par les Etats. De même ont été obtenues la conservation
de l'exclusion des marchés en coopération du champ de la directive,
l'institution de la procédure négociée comme procédure de droit commun et enfin
l'incitation à plus de transparence dans l'attribution des sous-contrats, afin
de lutter contre les demandes de compensations (offsets). En revanche, d'autres demandes des industriels français
n'ont pas abouti, comme la « préférence communautaire », la notion de
réciprocité ou la prise en compte des contrats du type FMS (Foreign Military
Sales -vente d'État à l'État) qui n'entrent pas dans le champ de la directive.
En ce qui concerne la transposition,
les représentants du CIDEF insistent sur la nécessité que la loi permette
d'appliquer toutes les « marges de manœuvre » offertes par la
directive et qu'elle ne soit pas plus contraignante dans ses termes, car des
transpositions différentes seraient de nature à induire des applications
différentes sources de ruptures de concurrence.
Pour sa part, Monsieur Gilbert Font,
président de la commission des affaires administratives du CIDEF, appelle
l’attention des sénateurs sur l'article
37-2 du projet de loi dont la rédaction est susceptible de mettre en
difficulté les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices. Il estime que
le projet de transposition ne permet pas à l'acheteur public qui ne
souhaiterait pas ouvrir un marché donné aux opérateurs économiques de pays
tiers d'éviter que ceux-ci y participent via la création de filiales en Europe
ou d'accords industriels. En effet, des groupes dont la majeure partie des activités
est située en dehors de l'Union pourraient créer des filiales immatriculées
dans l'Union dans le seul but de bénéficier d'un accès facilité aux marchés de
défense et de sécurité des États membres (entreprises « faux-nez »). Des
sociétés implantées de longue date sur le territoire européen pourraient
également chercher à développer une activité de défense en exploitant les
connaissances technologiques de groupes industriels étrangers à l'Union afin de
faire monter en gamme leur industrie.
Aussi, le CIDEF a proposé que la
transcription de la directive s'appuie sur le principe de la préférence
communautaire et sur la prise en compte des exigences de réciprocité. Il estime
également impératif que le pouvoir adjudicateur puisse exiger qu'une société
candidate soit capable de traiter sur le territoire de l'Union, l'ensemble du
cycle de vie d'un produit, qu'elle ait des capacités techniques installées,
prouvées, qu'elle puisse réagir à toute situation de crise. (article 42-1 h).
Au bilan, les industriels de la défense demandent un alignement rigoureux de la
loi sur la directive afin de limiter les risques de contentieux susceptibles de
naître du rejet d'une candidature ou d'une offre par le client public. Leur
position est ainsi résumée par Gilbert Font : « toute la directive mais
seulement la directive ».
Au terme de l’audition au Sénat,
Monsieur Didier Brugère, vice-président de la commission de la défense du
CIDEF, estime que « si la directive est transposée de façon homogène dans
tous les pays, elle ira dans le sens de la construction européenne ».
B. Les positions nationales
Le Royaume-Uni est un pays
de tradition libérale qui entretient des rapports privilégiés avec les
États-Unis : le gouvernement britannique devrait donc accueillir
favorablement cette initiative d’ouverture du marché de l’armement. Toutefois,
le pays compte a priori utiliser l’article 346 du TFUE pour protéger ses industriels, malgré le risque de se
heurter à la CJUE. En ce qui concerne le lien transatlantique, il obère tout
espoir de voire s’instaurer une notion de « préférence européenne ».
Les allemands comme les britanniques n’appliqueront pas les mesures de recours
en dessous des seuils de la Directive. Le dossier est piloté par le ministère
allemand de l’économie mais le texte transposé sera distinct de ceux qui
régissent les marchés civils. A la différence de l’Italie qui produira un
décret, Espagne et Suède transposeront la Directive dans une loi spécifique.
L’Italie n’exclut pas l’emploi de l’article 346 si la Directive ne la protège pas
suffisamment alors que l’Espagne pourrait exiger des clauses de réciprocité
avec les États tiers. Pour leur part, les MPDS suédois resteront probablement
ouverts aux opérateurs non européens.
1) Royaume-Uni
Les britanniques, toujours
pragmatiques, préfèrent un système souple et évolutif. Jusqu’à présent, ils ont
privilégié le recours à l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE).
La Section
des affaires intérieures et de la défense de la Chambre des communes a publié
en juin 2011 une étude relative à la transposition des directives du
« paquet défense » en droit anglais qui en rappelle les principales
dispositions et propose une synthèse de la position britannique sur le sujet[2].
Alors qu’il
venait de lancer en 2005 sa « Defence Industrial Strategy », le gouvernement
britannique estimait qu’une communication interprétative relative à la
politique européenne d’acquisition d’armement suffirait à clarifier le cadre
existant et en particulier l'utilisation de l'article 296. Il considérait
toutefois que l’entrée en vigueur d’un « fardeau réglementaire
supplémentaire » en plus du cadre existant ne semblait pas de nature à
remplir les objectifs d’efficacité et d’efficience des marchés de défense.
Aussi ne soutint-il pas le projet d'une nouvelle directive. En Décembre 2006,
la Commission européenne a publié une communication interprétative sur
l'application de l'article 296 (COM (2006) 779), considérée comme une première
étape vers un marché européen des équipements de défense ouvert et plus
équitable. La position du Ministry Of Defence (MOD) s’est ensuite infléchie
vers une recherche des bénéfices que pourrait apporter une directive. Le
gouvernement britannique en a depuis accepté le principe et l’a transposée en
droit national.
Lorsque la directive a été présentée, la Commission a
précisé qu’elle ne permettait ni ne réglementait les compensations (offsets). Cette position a été également
soutenue par le gouvernement britannique qui a déclaré que « le texte ne doit
ni explicitement autoriser ni interdire les compensations car c’est une
question complexe qui devrait être résolue progressivement, notamment grâce à
des travaux en cours à l'Agence européenne de défense»[3].
Des améliorations ont été apportées qui répondent aux
préoccupations du Royaume-Uni. C'est notamment le cas pour la possibilité
d’user de l'article 296 TCE qui n’est pas radicalement réduite. Toutefois, le
MOD souligne qu’un certain nombre de questions demeurent, notamment à propos de
la sous-traitance et du seuil d’application de la directive, mais aussi en ce
qui concerne les exigences éventuelles de réciprocité qui affecteraient la
compétitivité de l'industrie britannique dans les marchés mondiaux. Au bilan,
la question clé identifiée par le MOD est de savoir si les avantages apportés
par la directive en matière d'ouverture des marchés continuent à l'emporter sur
les éventuels inconvénients.
Depuis l’adoption de la directive en 2009, des inquiétudes
ont continué à se manifester, en particulier sur l'impact de la réduction des
budgets de défense et des marchés en Europe suite à la crise économique. Un
certain nombre de commentateurs se sont demandé si la directive allait vraiment
avoir un impact sur l'ouverture du marché européen de la défense à la
concurrence, ou si les États membres n’allaient pas continuer à protéger leur
industrie en usant de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE) autant que
possible ou en choisissant de ne pas appliquer les dispositions facultatives de
la directive relatives à la sous-traitance.
Certains analystes estiment que la portée de la directive
dépendra de la volonté des entreprises de défense et de la Commission
européenne à contester les décisions des États membres et de les porter devant
la Cour européenne de justice[4].
D'autres s’inquiètent sur les dommages potentiels que la directive peut
infliger à l'investissement en recherche et développement, étant donné que les
contrats de production feront l’objet d’une nouvelle mise en compétition :
pourquoi investiraient-elles dans ces activités coûteuses alors qu’elles ne
sont pas sûres d’obtenir un retour sur investissement ? La nécessité de
consolider la demande au moyen d’une politique d’acquisition harmonisée est
également évoquée car elle permet les économies d'échelle nécessaires au
maintien du niveau des capacités européennes.
La transposition de la directive dans la législation
britannique doit intervenir, comme pour ses partenaires, avant le 21 août 2011.
Le « Règlement de
2011 sur les contrats de défense et de sécurité » est susceptible d'être
transposé en utilisant la « procédure négative », qui ne nécessite pas un vote
dans chaque Chambre. Si la transposition revêt un caractère obligatoire,
certaines dispositions demeurent facultatives, notamment parmi celles qui sont
relatives à la sous-traitance, c’est pourquoi le MOD a lancé en 2010 et début
2011 deux consultations sur la directive. La première consultation concernait
précisément les éléments facultatifs de la directive alors que la seconde en a
synthétisé les résultats pour proposer le texte du projet de règlement.
Il ressort
notamment de ce projet que le MOD compte laisser le choix aux autorités
contractantes de statuer sur l'obligation pour les entrepreneurs retenus de
mettre en concurrence l’ensemble ou seulement une partie des contrats à
sous-traiter. Ce choix sera fait au cas par cas en fonction de la plus-value
estimée et des opportunités offertes aux petites et moyennes entreprises (PME)
européennes. Le MOD a également choisi de ne pas transposer l'article 21 de la
directive qui oblige les contractants à sous-traiter au moins 30% de la valeur
du contrat car il serait susceptible de créer une discrimination parmi les
soumissionnaires en fonction de l’organisation de leur chaîne
d’approvisionnement.
La
possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d'exiger des soumissionnaires
qu’ils se conforment aux dispositions nationales du Royaume-Uni sur les
habilitations de sécurité, en conformité avec les accords bilatéraux existants,
sera transposé comme une série non exhaustive d'options utilisables au cas par
cas. Il en va de même des dispositions qui permettent d'exiger des
soumissionnaires certains documents et engagements concernant la sécurité
d'approvisionnement.
Enfin, le
MOD a décidé de n'appliquer la nouvelle règlementation qu’aux processus
d'acquisition intervenant à partir du 21 août 2011.
2) Allemagne
Selon certains analystes, « l’axe
Paris-Berlin » s’est affaibli à partir de la présidence française du
Conseil européen au deuxième semestre 2008 suivie du retour de la France dans
les structures militaires de l'OTAN[5] :
la présidence française de l'UE s’attendait à ce que l'Allemagne soutienne
l'idée d'une relance de la PSDC mais son projet phare - une refonte de la
stratégie européenne de sécurité et un développement des capacités militaires -
s'est heurté à la réticence allemande. En 2010, les efforts des deux ministères
de la Défense pour la mise en place de capacités militaires n'ont pas suscité
de coopération plus étroite.
Lors d’une intervention au séminaire EuroDéfense du 6 mai
2011 relatif aux conséquences des actions communautaires sur le MEED et la
BITDE et à l’impact des initiatives bilatérales, Kersten LEPPER[6]
indiquait que la position des industriels allemands était similaire à celle des
industriels français et britanniques, mais il s’interrogeait toutefois sur les
possibilités de cohabitation entre des initiatives bilatérales et les
nouvelles directives du « paquet
défense ».
Monsieur
LEPPER soulignait que la coopération bilatérale était sans doute la plus
adaptée car les processus d’acquisitions étaient plus simples, notamment pour
des Etats dont la politique de défense était similaire. Il estimait pourtant
que l’Allemagne avait sous estimé
l’intérêt de la coopération Franco-Britannique, ce type de projet étant moins
attractif pour l’Allemagne où les déploiements sont soumis à des décisions au
Bundestag qui s’inscrivent dans la durée. De plus, les allemands auraient du
mal à fournir des garanties réciproques équivalentes à celles engagées pour le traité Franco-Britannique.
Selon le
représentant de la fédération des industries allemandes de sécurité et de
défense, son pays doit conserver une place particulière aux côtés du couple
franco-britannique. Les options envisageables seraient les suivantes :
-
Une place
intermédiaire entre la France et le Royaume-Uni ;
-
Un rôle de « chef de file » des petites nations européennes ;
-
Une intégration à l’accord
Franco-Britannique (peu probable);
-
Une autre coopération bilatérale (incompatible avec
la politique allemande de défense et de sécurité) ;
-
Une procédure « à géométrie variable » au
travers du processus de Gand[7]
au sein de plusieurs groupes d’États membres.
L’Allemagne
devrait s’intéresser au traité Franco-Britannique qui est jugé pragmatique et
orienté vers l’intérêt des nations selon une approche coûts/bénéfices. Mais
puisque ce traité n’a pas vocation à s’élargir à d’autres États, l’Allemagne
s’orientera probablement vers des partenariats où elle pourra lancer des
initiatives dans le cadre de la PSDC.
D’après
le docteur Scherer-Leydecker[8],
au début des années 2000 et jusqu’en 2004, l’Allemagne ne recourait aux appels
à la concurrence que pour 2% de ses contrats de biens concernant la
défense : le pays était à la traîne en Europe alors que la France mettait
en concurrence à la même époque jusqu’à 24% de ses contrats. Même s’il n’y a
pas eu de réelle analyse juridique des pratiques des États membres en matière
de recours aux procédures dérogatoires de l’article 296 TCE, il apparaît que
les soumissionnaires sont réticents à lancer des procédures de
vérification : en regard du nombre limité d’adjudicataires, ils craignent
d’être écartés des futurs appels d’offres. Cependant, le nouveau cadre établi
par la directive en matière de protection de la confidentialité et de sécurité
rendront plus difficile l’invocation d’intérêts essentiels pour écarter le
recours à une procédure de mise en concurrence. Les nouvelles règles vont
également entraîner la prise de conscience qu’il existe une demande en matière
de contrats d’armement et les principales questions relatives au recours à
l’article 296 TFUE vont être clarifiées par la jurisprudence en matière
d’acquisitions. En effet, la directive va probablement susciter des actions
contre le recours aux exceptions lors des procédures d’attribution des marchés.
En réaction, il y aura probablement une proportion plus élevée d’appels à la
concurrence. Par ailleurs, la Commission a la possibilité de contraindre les
États membres qui ne respecteraient pas les termes de la directive. Enfin, les
critères de sécurité d’approvisionnement qui permettaient jusqu’à présent de
justifier un traitement préférentiel des soumissionnaires nationaux seront
désormais plus difficiles à avancer. Le docteur Scherer-Leydecker relève à ce
propos que la règle de non-discrimination de l’article 18 du TFUE a vocation à
s’appliquer aux marchés de défense et de sécurité, que ce soit au bénéfice des
soumissionnaires européens comme au bénéfice des soumissionnaires extérieurs à
l’Union, notamment ceux situés aux États-Unis.
Une circulaire du Ministère fédéral de l'Économie et de la technologie[9],
adressée notamment aux ministères allemands de la Défense et de l'Intérieur,
établit les modalités d’application du nouveau cadre légal issu de la mise en
œuvre de la directive 2009/81. Il en ressort que la transposition a conduit le
gouvernement fédéral à amender courant août sa loi sur la concurrence, la GWB[10].
Une nouvelle loi relative aux acquisitions en matière de défense et de sécurité
est par ailleurs en cours d’élaboration avec une entrée en vigueur prévue pour
janvier 2012. Cette circulaire préliminaire ne concerne que les marchés
d’acquisition de biens et de services de défense ou de sécurité d’une valeur estimée
hors taxes supérieure ou égale à 387 000 € - en dessous de ce seuil, la
réglementation fédérale est appliquée. Son objectif est d’orienter les
pratiques en attendant l’entrée en vigueur du nouveau cadre législatif. Elle
répond à l’esprit de la directive 2009/81 et rappelle notamment que le recours
aux exemptions qui s’appuient sur l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE) doit
revêtir un caractère exceptionnel et devront faire l’objet de justifications
détaillées.
A la
différence de la démarche adoptée en France, le cadre retenu par le
gouvernement fédéral se distingue du règlement applicable aux marchés publics
civils afin de préserver l’efficacité du pouvoir adjudicateur au profit des
forces opérationnelles.
A ce stade, il n’a pas été prévu de mesures particulières visant à
contrôler l’accès au marché par des opérateurs économiques ne relevant pas de
l’Union européenne, même si le ministère Allemand de la défense se montre
réservé sur la position de la Commission en matière d’ouverture des marchés.
3) Autres États-membres
La Suède, l’Italie et l’Espagne ont
choisi de transposer la directive sous forme d’un texte autonome, comme la
France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
La Suède dispose d’une BITD modeste (moins de 150 entreprises de défense[11])
mais elle fait partie des signataires de la LoI du 6 juillet 1998 qui visait à
faciliter les restructurations et le fonctionnement de l'industrie européenne
en matière d'armement. Dans le cadre de la transposition de la directive
2009/81, un texte de loi doit compléter le code suédois qui comporte une partie dédiée
aux acquisitions réalisées dans le cadre de l’article 346 TFUE (ex-article 296
TCE). On notera que le service d'acquisition de la défense suédoise (FMV) ne
ferait pas de différence entre les opérateurs économiques ressortissants des États membres et les
opérateurs extérieurs à l’Union : les marchés publics de défense et de
sécurité suédois resteront donc relativement ouverts à la concurrence mondiale.
La Suède semble cependant vigilante sur les questions de sécurité des
approvisionnements et le FMV s’intéresse plus particulièrement aux critères qui
permettent d’écarter des opérateurs coupables de fautes en matière de sécurité.
Le Général
Claudio TOZZI, de la direction nationale de l'armement italienne (DNA), expliquait
en 2008 dans un rapport de l’Assemblée de l’UEO[12]
que les processus d'acquisition et de gestion des armements devenaient de plus
en plus complexes et qu’ils devaient être révisés sur la base des modèles
utilisés par les autres pays industriels développés. La directive 2009/81
s’inscrit dans cette démarche et devrait donc recevoir un accueil favorable de
la part de la DNA. Se plaçant dans une perspective résolument
intergouvernementale, le général TOZZI relevait que le processus d'intégration européenne provoquait notamment un
accroissement de la coopération dans les domaines de la recherche, du
développement et de la production en matière de sécurité et de défense.
Accueillant favorablement le rôle de l’AED dans la rationalisation de la
demande et le soutien d’une base industrielle et technologique de défense
européenne, il rappelait la nécessité d'ajuster les réglementations nationales
tout en insistant sur l'importance de l’action des gouvernements. Enfin, s’il
estimait nécessaire d’établir un cadre juridique et administratif pour les
marchés d’armement, il considérait également qu’il fallait « accroître la
pénétration du marché international des armements ».
L’Italie devrait transposer la directive 2009/81 sous la forme d’un
décret gouvernemental. Il n’a pas été prévu de mesures particulières pour
contrôler l’accès au marché intérieur par les États tiers car les instruments
proposés par la directive en matière de sécurité d’approvisionnement ou
d’information apparaîtraient suffisants. Le recours à l’article 346 TFUE
demeure toutefois possible.
En
Espagne, la Chambre des représentants a travaillé sur un nouveau
projet de loi dont le texte a été examiné courant juin par le Congrès. Le pays
souhaiterait toutefois conserver l’article 44 de son code des marchés, qui exige une
réciprocité de l'accès au marché des deux parties liés par une opérations de
compensations. D’après le général Victor Martinez ZARO, chef de la
Direction générale des achats à la Direction générale des Affaires économiques
du Ministère de la Défense espagnole[13], les
possibilités offertes par la directive en matière de sécurité de l'information
et des approvisionnements ainsi que la flexibilité dans les procédures de
passation des marchés sont accueillies favorablement. Selon lui, la nouvelle
loi sur les marchés de défense va également faciliter l'accès des petites et
moyennes entreprises aux marchés de sous-traitance grâce à l’externalisation.
Par ailleurs, les options proposées par la directive concernant l'exigence d’un
pourcentage minimum de sous-traitance seraient cohérentes avec le cadre
réglementaire national. D’après un article d’Antonio Martinez GONZALEZ (Professeur d'économie
appliquée de l'Université Rey Juan Carlos) et de Pedro Gutierrez BERNAL
(Général de l’armée de l’air espagnole, ancien directeur de CESEDEN)[14],
les effets négatifs de la crise économique actuelle sur l’économie réelle des
pays européens et leur impact immédiat sur les budgets de défense nationaux et
sur les investissements, peuvent avoir des conséquences sur la capacité
opérationnelle de nos forces ainsi que sur la compétitivité de la base
industrielle et technologique de défense. Dans ce contexte, la mise en œuvre du
nouveau cadre imposé par la directive serait selon eux de nature à affecter
gravement les intérêts de l'Espagne et elle nécessiterait une grande vigilance,
voire la recherche de solutions alternatives.
C. Le bilan côté français
En France, la directive 2009/81/CE a
été transposée pour partie dans une loi[15]
et pour partie par voie réglementaire au moyen d’un décret en Conseil d’Etat
qui en précise les modalités d’application[16]
. Le ministère de la défense souhaitait disposer d'un code des marchés publics
séparé car spécifique, mais cette formule n’a pas reçu l’assentiment du
gouvernement, la création d'une troisième partie du CMP permettant probablement
de rester proche de l'esprit du code. Le « décret défense »
(n°2004-16) sur lequel s’appuyaient les PRM du ministère est désormais abrogé.
1) Une loi fidèle à la directive européenne
Afin de
demeurer fidèle aux principes fondamentaux de la directive 2009/81/CE, la loi
n°2011-702 reprend l’ensemble de ses dispositions qui n’ont pas de caractère
optionnel. Elle comporte 10 articles
dont deux sont spécifiques à la directive MPDS : l’Article 5 modifie
sept articles (Art. 2, 3, 4, 7, 8, 37 et 38) de l’ordonnance n° 2005-649 du 6
juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou
privées non soumises au code des marchés publics et l’Article 6 modifie
les alinéas 2 et 19 de l’article 551 du code de justice administrative relatifs
aux référés en matière de contrats publics.
Les
définitions énoncées dans l’article 1 de la directive 2009/81/CE ont été
intégralement reprises dans le texte de loi.
La
définition de la sous-traitance dans la directive recouvre les contrats de
fournitures, à la différence de la définition de la sous-traitance en droit
interne. Par conséquent, il est proposé de créer une notion nouvelle, le
« sous-contractant » : cette notion recouvre les notions de
sous-traitants, tels qu’ils sont définis en droit interne, et de fournisseurs.
Aux termes
des dispositions de l’article L. 551-18 du Code de Justice Administrative
(CJA), le juge prononce la nullité d’un contrat lorsque notamment les exigences
de publicité, de remise en concurrence ou de délai de notification
d’attribution d’un marché n’ont pas été respectées. L’article L.551-19 précise
pour sa part les sanctions de substitution lorsque le juge ne prononce pas la
nullité du contrat. Il a donc été proposé de préciser dans le CJA, que le juge
ne peut prononcer la nullité du contrat lorsque cette mesure menacerait
sérieusement l'existence même d'un programme de défense ou de sécurité plus
large qui est essentiel pour les intérêts de sécurité de l’Etat. Il lui
appartient, dans ce cas, de choisir entre les différentes sanctions de
substitution prévues.
Parmi la
liste des interdictions de soumissionner figurant à l’article 8 de l’ordonnance
du 6 juin 2005, il est proposé d’ajouter les infractions terroristes ou
infractions liées aux activités terroristes ainsi que le financement du
terrorisme puisque le code pénal sanctionne ces délits en droit interne.
Les
directives communautaires 2004/18/CE, 2004/17/CE et 2009/81/CE prévoient
chacune des cas d’exclusion dans lesquels les acheteurs publics peuvent se
dispenser de toute procédure. Les exclusions communes aux marchés
ordinaires et aux marchés passés dans les domaines de la défense et de la
sécurité sont séparées des exclusions spécifiques dans le nouveau texte afin
d’éviter que les acheteurs publics utilisent abusivement les exclusions propres
aux marchés ordinaires pour leurs marchés de défense ou de sécurité.
L’exclusion
relative à l’acquisition de biens immeubles est plus restrictive pour les
marchés ordinaires que pour les marchés de défense ou de sécurité, c’est
pourquoi ces derniers sont expressément exclus des dispositions.
L’exclusion
relative aux marchés passés en vertu des règles d’une organisation
internationale recouvre également les
achats des acheteurs publics pour le compte des organisations internationales,
il est apparu utile d’en préciser la signification à l’occasion de la
transposition.
La
directive 2009/81/CE étant adaptée à la sensibilité des marchés de défense et
de sécurité, l’exigence du secret n’est donc plus une cause de dérogation pour
les marchés de défense et de sécurité.
Il est
désormais clairement prévu que les marchés de services de R&D dont le coût
ou les bénéfices sont partagés alternativement entre l’acheteur et le titulaire
bénéficient d’une exclusion. L’acception de la R&D pour les marchés de
défense et de sécurité est toutefois plus étroite que pour les marchés
ordinaires, du fait des coûts importants qui la caractérisent, c’est pourquoi
de sa définition a été inscrite dans la loi.
Aux termes
de la directive, les dispositions de l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE)
s’appliquent lorsque les conditions requises sont réunies. Cette exclusion est
par conséquent reprise dans le nouveau texte, tout comme celle qui concerne les
marchés pour lesquels l’application de l’ordonnance ou du code des marchés
publics obligerait à une divulgation d’informations contraire aux intérêts
essentiels de sécurité de l’Etat.
Enfin, sont
reprises dans la loi les exclusions relatives aux marchés spécifiquement
destinés aux activités de renseignement, aux marchés passés dans le cadre d’un
programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement
mené conjointement par l’Etat et un autre Etat membre de l’Union européenne ou
encore les marchés passés dans un pays tiers lorsque des forces sont déployées
hors du territoire de l’Union européenne, et que les besoins opérationnels
exigent qu’ils soient conclus avec des opérateurs économiques locaux implantés
dans la zone des opérations et ceux ayant pour objet des travaux, fournitures
ou services lorsque la passation d’un marché global est justifiée pour des
raisons objectives.
Au titre
des dispositions notables qui doivent permettre d’écarter les sous-contractants
jugés non fiables, l’article suivant a été ajouté au texte de loi : « Pour les marchés de défense ou de
sécurité, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent ne
pas accepter un opérateur économique proposé par le candidat ou le titulaire
comme sous-contractant, pour l’un des motifs prévus à l’article 8 ou au motif
qu’il ne présente pas les garanties suffisantes telles que celles exigées pour
les candidats du marché principal, notamment en termes de capacités techniques, professionnelles et
financières ou de sécurité de l’information ou de sécurité des
approvisionnements »[17].
2) L’exploitation des options et attendus de la directive
La transposition traduit les choix et les initiatives prises par le
législateur national en vue d’exploiter les options offertes par la directive
sans en trahir la lettre puisque certains aménagements ou développements
s’appuient sur les attendus énoncés dans le texte européen. Il
convient de noter par ailleurs que la première partie de la loi 2011-702 déjà
citée comprend les dispositions relatives au contrôle des importations et des
exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés dans le cadre de
la transposition de la première directive du « paquet défense » simplifiant les conditions des
transferts de produits liés à la défense : elle complète certains articles
du code de la défense, notamment relatifs aux matériels de guerre, armes et
munitions.
L’ensemble des motifs d’interdiction de soumissionner proposées dans
l’article 39 ont été transposés en droit national, comme par exemple les délits
liés à la moralité professionnelle, les condamnations pour violation des
obligations en matière de sécurité de l’information ou de sécurité de
l’approvisionnement lors d’un précédent marché ou encore le manque de fiabilité
d’un candidat en rapport avec la préservation de la sécurité de l’Etat.
Le délit d’atteinte à la moralité professionnelle peut être qualifié en
droit interne par une violation du secret professionnel, sanctionnée par le
code pénal, qui peut par conséquent constituer un motif d’interdiction de soumissionner
en référence aux dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées
non soumises au code des marchés publics [18]. Sont
également repris dans la loi les références aux articles du code de la défense
relatifs à la violation de la législation en matière d’exportation d’équipement
de défense ou de sécurité : manquements aux règles de fabrication et de
commerce de matériels de guerre, armes et munitions (visés aux articles L. 2339-2
à L.2339-4) ; manquements aux règles de port, de transport et d’expédition
de matériels de guerre, armes et munitions (visés à l’article L. 2339-9) ;
manquements aux règles d’exportation, d’importation et de transfert de
matériels de guerre, armes, munitions (visés aux articles L. 2339-11-1 à L.
2339-11-3). L’interdiction de soumissionner liée à la violation des obligations
de l’attributaire en matière de sécurité de l’information ou de sécurité de
l’approvisionnement lors d’un précédent marché peut pour sa part être
caractérisée par les articles du code pénal correspondant aux atteintes au
secret de la défense nationale (articles 413-9 à 413-12) qui ont par conséquent
été ajoutés dans les références à l’ordonnance du 6 juin 2005 citée supra.
Toutefois, il n’existe pas de sanction pénale relative à un défaut de fiabilité
susceptible de porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Une nouvelle
interdiction de soumissionner a donc été ajoutée à l’ordonnance du 6 juin 2005.
Il en est de même pour le cas des personnes qui ont été sanctionnées par la
résiliation d’un précédent marché dont ils étaient titulaires ou qui ont vu
leur responsabilité civile engagée par une décision de justice pour
méconnaissance de leurs engagements en matière de sécurité d’approvisionnement
ou en matière de sécurité de l’information.
La directive 2009/81/CE offre la possibilité dans son article 21-5 de
rejeter les sous-traitants sélectionnés par le soumissionnaire au stade de la
procédure d’attribution du marché principal ou par le soumissionnaire retenu
lors de l’exécution du marché, sous réserve de se fonder sur les critères de
sélection fixés pour le marché principal. Cette possibilité a été ajoutée à
l’article 37-1 de l’ordonnance du 6 juin 2005 afin de contribuer à la sécurité
des approvisionnements ainsi qu’à la sécurité des informations en permettant
aux pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices de ne pas accepter un ou
plusieurs sous-contractants.
En matière de référé précontractuel, le pouvoir d’annulation conféré au
juge (Art. 551-2 du CJA) est remplacé par un pouvoir d’injonction et
d’astreinte en cas de non respect des règles de publicité et de mise en
concurrence (Art. 551-6 et 551-7 du CJA), conformément aux dispositions de
l’article 56.1 de la directive MPDS qui en offre la possibilité au législateur
national. En effet, les enjeux représentés par les programmes de défense et de
sécurité ne sauraient être exposés à des risques d’annulation dont les
conséquences seraient sans commune mesure avec les intérêts du requérant.
En ce qui concerne les engagements internationaux, l’ouverture à la
concurrence des marchés de défense et de sécurité rend indispensable la mise en
œuvre de la faculté reconnue aux États membres par le considérant 18 de la
directive de « décider si oui ou non leurs pouvoirs adjudicateurs ou
entités adjudicatrices peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à
participer aux procédures de passation des marchés ». Ainsi, le nouvel
article 37-2 de l’ordonnance du 6 juin 2005 permet aux acheteurs publics de fermer
aux opérateurs économiques tiers à l’Union l’accès à certains de leurs marchés
de défense ou de sécurité.
Alors que
le rapport du Sénat (déjà cité) déplore l’absence dans la directive MPDS de
reconnaissance juridique formelle de la clause de préférence communautaire et
de l’obligation de réciprocité pour l’ouverture des marchés et même si d’après
Yves Fromion, rapporteur de la Commission de la Défense nationale à l’Assemblée
nationale, la nouvelle loi ne devrait avoir qu’un impact limité pour le ministère
de la défense[19], la partie
réglementaire de la transcription a amené quelques mesures supplémentaires à
même de protéger notre BITD nationale.
3) Des dispositions nationales spécifiques
Le volet
règlementaire de la transposition s’est concrétisé le 15 septembre 2011 par la
publication au journal officiel du décret n° 2011-1104 relatif à la passation et à l'exécution des
marchés de défense ou de sécurité.
En
cohérence avec la transposition en droit français de la première directive du
« paquet défense» relative aux transferts de produits liés à la défense
dans la communauté européenne, les termes du décret s'inscrivent en complément
des dispositions issues de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011, relative au
contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de
matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la
défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité. Ce
nouveau texte a pour effet d'insérer au sein du CMP une troisième partie spécifique
aux marchés de défense ou de sécurité et d’abroger le « décret
défense » de 2004.
Les règles
édictées s’appliquent aux marchés publics de défense ou de sécurité tels que
définis à l'article 179 du CMP, les autres marchés étant soumis soit à la première
partie du CMP, soit libres de tout cadre réglementaire lorsqu’ils relèvent
d’une des exclusions prévues aux articles 180 à 184.
En
complément de la loi 2011-702, le décret 211-1104 transpose fidèlement la
directive 2009/81/CE. Il prévoit en effet un certain nombre de mesures
directement issues du texte communautaire, comme la mise en œuvre des
procédures négociées et met en place des critères particuliers de sélection des
soumissionnaires. Il permet également aux pouvoirs adjudicateurs d’imposer certaines
exigences en matière de sécurité des informations et de sécurité
d’approvisionnement, définit les régimes applicables aux sous-traitants et aux
sous-contractants et transpose les cas d’exclusions du code des marchés publics
propres aux marchés de défense et de sécurité.
Le décret
exploite par ailleurs toutes les marges de manœuvres offertes par la directive
en prévoyant notamment des dispositions propres à favoriser le renforcement de
la BITDE, considérée comme un des principes fondamentaux de la commande
publique (article 177), ainsi que la possibilité de fermeture des MPDS aux
opérateurs économiques issus de pays tiers à l’Union européenne.
Le décret
comporte en outre des dispositions nationales spécifiques préservant les
intérêts du ministère de la défense, ce qui permet non seulement d’éviter toute
régression suite à l’abrogation du « décret défense » mais aussi
d’apporter des améliorations en matière de négociation et de gestion de
contrats. C’est ainsi qu’il reprend un certain nombre de dispositions du
« décret défense », comme la possibilité de prévoir des provisions
pour aléas à hauteur de 15 % du montant du marché (art. 247), l'introduction de
nouveaux cas de prix provisoires (art. 199) et l'insertion d'une clause
autorisant le paiement différé dans des cas exceptionnels (art. 266). Par
ailleurs, le nouveau décret adapte certaines dispositions nationales
applicables aux marchés publics civils mais jugées trop contraignantes pour les
MPDS, en supprimant notamment l'obligation d'allotissement des marchés (art.
189) ou en précisant les modalités de révision des prix (art. 198), aspect
particulièrement sensible des transactions pré et post-contractuelles. Il
introduit également une simplification des procédures en cas de crise en
autorisant l’échange de lettres (art. 208, II, 2°), propose un régime de
paiement des avances et des acomptes (art. 260 à 264) et fixe les modalités du
contrôle des coûts de revient (art. 289).
Enfin, le
décret 2011-1104 met également en place des mesures nouvelles comme le relèvement
de 5 à 10 % du montant minimum de l'avance versée aux titulaires de marchés qui
sont des PME (art. 261) et le renforcement de l'obligation de fournir des
documents en langue française (art. 186, 191, 219, 224, 240 et 244).
[1] Rapport
n°306 du 15 février 2011, op. cit.
[2] TAYLOR Claire, EC Defence Equipment Directives [en
ligne], Standard Note: SN/IA/4640, 3 June 2011, Section International Affairs
and Defence Section. Disponible sur
www.parliament.uk/briefing-papers/SN04640.pdf
[3] Ibid., p. 13.
[4] O’DONNELL
Clara, The
EU takes on defence procurement [en
ligne], in Centre for European
Reform, November 2008. Disponible sur http://www.cer.org.uk
[5] KEMPIN Ronja
et VON ONDARZA Nicolai, La PSDC menacée
d'érosion ? ... de la nécessité de ramener la France et la Grande-Bretagne dans
son giron [en ligne], in SWP –
Institut allemand de politique internationale et de sécurité, juin 2011. Disponible
sur http://www.swpberlin.org/fileadmin/contents/products/aktuell/
2011A25_kmp_orz_ks.pdf
[6] Directeur général
adjoint de la Fédération Allemande des Industries de Sécurité et de Défense
(BDSV).
[7] Afin de
faire progresser la PSDC, l'Allemagne a publié fin 2010 avec la Suède un
document de réflexion sur "l'intensification de la coopération militaire
en Europe" (initiative de Gand). Les propositions germano-suédoises
demeurent toutefois en retrait par rapport aux ambitions françaises puisqu'elles
ne portent pas sur ce que les Français considèrent comme nécessaire et urgent :
la mise en place de capacités pour les opérations militaires de moyenne et de
forte intensité.
[8] SCHERER-LEYDECKER
Christian, European defence procurement in transformation [en ligne]. 31
mars 2011. Disponible sur http://defpro.com/daily/details/785
[9] Circulaire
du Ministère fédéral de l’Economie et de la technologie du 26 juillet 2011
relative à la mise en œuvre de la directive 2009/81/CE du Parlement européen et
du Conseil du 13 Juillet 2009 sur la coordination des procédures de passation
certaines œuvres, de fournitures et de services dans les domaines de la défense
et de la sécurité et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE,
disponible sur http://www.bmwi.de.
[10] Gesetz gegen
WettbewerbBeschränkungen (GWB): loi contre les restrictions de la
concurrence.
[11] Etude
d’impact du 25 octobre 2010 concernant le Projet de loi relatif au contrôle des
importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels
assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense
dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, disponible
sur
http://www.legifrance.gouv.fr/html/etudes_impact/lois_publiees/2011/ei_materiels_guerre.pdf,
page 25.
[12] O’HARA Edward,
Rapport sur l’acquisition d’équipements
de défense en Europe, Exposé des motifs, Assemblée de l’UEO, 04/06/08,
Disponible sur http://www.assembly-weu.org/fr/, §15 à 20.
[13] Adaptación
de la directiva 2009/81 de la UE, Los ámbitos de la defensa y la seguridad
contarán con una ley de contratos públicos propia, Minisdef, 28/04/2011,
disponible sur
http://www.infodefensa.com/?noticia=los-ambitos-de-la-defensa-y-la-seguridad-contaran-con-una-ley-de-contratos-publicos-propia.
[14] Antonio
Martinez Gonzalez et Pedro Gutierrez Bernal, Nouvelles directives européennes sur les transferts et les acquisitions
de défense: une étape vers une défense européenne compétitive et la sécurité, Monday, Juin 6, 2011 – article disponible
sur http://www.revistatenea.es/revistaatenea/revista/articulos/GestionNoticias_
5204_ESP.asp
[15] Loi n°
2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des
exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la
simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union
européenne et aux marchés de défense et de sécurité.
[16] Décret
n°2011-1104 du 14 septembre 2011 relatif à la passation et à l’exécution des
marchés publics de défense ou de sécurité mise à jour de directives, du code
des marchés publics, du code des douanes ou encore du code de justice
administrative.
[17] LOI n°
2011-702, ibid., article 5-6.
[18]
Article 8 de l’ordonnance
n°2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes
publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.
[19] La majorité
des marchés passés par la DGA relève de la procédure dérogatoire prévue par
l’article 346 TFUE (ex-article 296 TCE).